Nicolas Laffont, journaliste spécialisé dans les affaires militaires, avait 2109 images et 814 vidéos de pornographie juvénile dans ses ordinateurs, selon les enquêteurs du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Mais parce que les policiers n’ont pas tenu compte de l’importance de protéger la confidentialité des sources journalistiques lors de leurs perquisitions, en 2018, le journaliste a réussi à convaincre le tribunal de rejeter ces preuves amassées contre lui.

« Les agissements de l’État donnent à penser que le matériel journalistique et la confidentialité des sources ont peu ou pas d’importance et ne revêtent aucune utilité réelle pour les citoyens. Or, ils sont à la base du journalisme d’enquête et plus largement de la liberté d’expression », a souligné la juge Josée Bélanger, de la Cour du Québec, dans une décision rendue mardi au palais de justice de Montréal.

« L’inconduite policière est grave, a-t-elle ajouté. Admettre en preuve des éléments obtenus dans les conditions décrites enverrait le message que les tribunaux tolèrent de graves écarts de la part des policiers et ternirait la réputation du système judiciaire. »

Nicolas Laffont, fondateur et éditeur du site web 45enord.ca, fait face à six chefs d’accusation de possession et de distribution de pornographie juvénile, pour des gestes survenus entre juillet 2015 et août 2017.

En mars 2018, en perquisitionnant pour trouver des images pornographiques afin d’étayer leur preuve, les policiers ont saisi du matériel informatique utilisé à des fins professionnelles par l’accusé.

Sur l’ordinateur portable de Nicolas Laffont, on retrouvait notamment « les fichiers de l’entreprise, des articles, des contrats, de la facturation, les coordonnées de ‟personnes clés” et de personnes-ressources, des enquêtes et des documents sensibles », détaille le jugement.

La loi de 2017 ignorée

Or, les mandats de perquisition ont été obtenus par la voie « classique » du Code criminel, et non selon les dispositions spécifiquement prévues pour les journalistes. Les policiers doivent en effet respecter des règles très sévères pour obtenir un mandat de perquisition visant un journaliste, depuis l’entrée en vigueur de la Loi sur la protection des sources journalistiques, en octobre 2017, dans la foulée de l’affaire Lagacé.

Dorénavant, un juge de la Cour du Québec ou de la Cour supérieure doit autoriser ces mandats, et non pas un juge de paix magistrat, et les documents saisis doivent être mis sous scellés. Mais rien de cela n’a été fait par le SPVM, souligne le jugement, alors que les policiers savaient que Nicolas Laffont était journaliste.

Le matériel informatique a été traité et visionné par plusieurs personnes sans considération pour le fait qu’il pouvait s’y trouver du matériel journalistique, des documents sensibles ou susceptibles de révéler des sources journalistiques.

La juge Josée Bélanger, de la Cour du Québec

Le procureur de la Couronne, Me Jérôme Laflamme, s’est dit « surpris » de voir la preuve contre l’accusé ainsi rejetée.

« Maintenant, il faut tenir le procès, mais comme la preuve est exclue, je n’aurai probablement pas grand-chose à présenter », a-t-il admis, après que la décision eut été rendue, ajoutant qu’il allait se pencher sur la possibilité de porter le jugement en appel.

S’il n’y a plus de preuve contre lui, l’accusé sera automatiquement acquitté.