(Alma) Huit Français sympathiques et enjoués venus découvrir en motoneige les grands espaces enneigés du Québec se sont retrouvés plongés mardi soir, aux côtés de leur guide montréalais, dans un scénario de film d’horreur.

Le guide apparemment expérimenté, Benoît Lespérance, 42 ans, est mort. Cinq touristes auraient disparu dans les eaux glacées du lac après avoir emprunté un chemin très dangereux. Ils demeuraient introuvables au moment d’écrire ces lignes.

PHOTO FOURNIE PAR LA SÛRETÉ DU QUÉBEC

Vue aérienne de la zone de recherche

Trois Français ont réussi à échapper in extremis au même sort. Ils ont obtenu mercredi leur congé de l’hôpital.

Ces trois survivants n’ont pas parlé aux médias. Mais il est possible grâce à d’autres témoignages de remonter le fil funeste des événements. Les huit Français, relativement jeunes – en majorité dans la vingtaine et la trentaine, selon des médias français –, avaient loué leurs motoneiges à Saint-Michel-des-Saints. Aux côtés de leur guide, ils ont mis le cap sur La Tuque.

Lundi soir, ils ont couché au Relais 22 Milles, auberge pour motoneigistes. La propriétaire, Christine Reis, les avait accueillis la veille, à leur arrivée.

« Benoît était un guide expérimenté, que l’on voyait souvent avec de gros groupes, dit Mme Reis. Il venait six à huit fois par hiver, parfois deux fois dans la même semaine. »

En arrivant à l’auberge lundi soir, Benoît Lespérance lui avait confié que les Français qu’il guidait étaient particulièrement sympathiques.

Au moment du souper, elle a remarqué qu’une bonne entente régnait entre eux et qu’ils semblaient bien profiter de leur séjour. Mardi matin, tous sont partis à l’heure convenue, et toutes les motoneiges semblaient en bon état, souligne Mme Reis.

Directement dans « l’eau claire »

La journée de mardi, le groupe s’est dirigé vers le lac Saint-Jean. Le plan d’eau est un lieu de prédilection des motoneigistes en hiver. Mais un secteur est à éviter à tout prix. C’est là qu’ils sont allés, pour des raisons encore inconnues.

Les motoneigistes se rendaient à Saint-Gédéon par le nord du lac, depuis Saint-Henri-de-Taillon, pour dormir dans une auberge. Sur la terre ferme, le trajet prend plus d’une heure et emprunte des sentiers balisés. Ils ont plutôt choisi de prendre le chemin le plus court, qui passe directement dans le secteur dangereux.

Ils n’ont pas réalisé où ils étaient. Sur le lac Saint-Jean, il y a 18 pouces de glace, il y a des pêcheurs avec des cabanes, il n’y a pas de problème. Mais là où ils sont passés, c’est l’entrée de la Grande Décharge. Ça ne gèle pas.

Charles Tremblay, propriétaire de la station d’essence de Saint-Henri-de-Taillon

C’est dans son commerce que trois Français ont fait irruption mardi en début de soirée. Ils avaient perdu leurs cinq compatriotes et leur guide québécois. Tous trois circulaient sur le lac quand l’un d’eux a coulé. Les deux autres l’ont repêché et sont revenus sur leurs pas pour atteindre la station-service. Les trois sont arrivés sur deux motoneiges, laissant l’une d’elles à l’eau.

Les deux motoneiges de marque Ski-Doo étaient toujours bien visibles, stationnées sur le côté du commerce mercredi.

PHOTO ROCKET LAVOIE, LE QUOTIDIEN

C’est dans ce commerce de Saint-Henri-de-Taillon que trois des rescapés se sont réfugiés mardi en début de soirée.

Les Français ont tenté d’appeler leurs amis, sans succès. La police a été alertée à 19 h 30.

Les six autres motoneigistes sont probablement tous tombés dans l’eau. Le guide, Benoît Lespérance, a été retrouvé sur la berge. Son décès a été constaté à l’hôpital. La Sûreté du Québec (SQ) a annoncé en soirée mercredi avoir repêché des eaux deux motoneiges, à l’embouchure de la Grande Décharge.

« Il reste une certaine possibilité, peu probable, qu’ils aient pu se réfugier sur une île aux alentours. On en est là », a expliqué Hugues Beaulieu, porte-parole de la SQ.

Le secteur où le groupe s’est dirigé est reconnu comme une zone mortelle par les gens du coin.

« C’est un coin très dangereux. C’est la décharge du lac Saint-Jean », explique Laval Fortin, membre du club des motoneigistes du Lac-Saint-Jean.

« Nous, on navigue avec des repères. On sait où ne pas aller. L’île Ronde, c’est notre repère. Il ne faut pas aller à gauche de l’île Ronde, dit-il. C’est de l’eau claire, ça ne gèle pas, ça coule à l’année. »

Le groupe s’est pourtant dirigé à gauche de l’île Ronde. Il faisait déjà noir. Ils n’ont probablement jamais vu l’étendue d’eau libre de glace, au loin devant eux. Pourquoi ont-ils fait ce choix ? Était-ce la décision du guide, ou celle intempestive d’un client ? Pour l’instant, on l’ignore.

« On ne sait pas comment c’est arrivé, peut-être que le guide a essayé d’aller prêter secours à ses clients. Il faut attendre d’avoir les faits », juge Marilou Perreault, directrice des opérations à la Fédération des clubs de motoneigistes du Québec.

Les recherches se poursuivent

La SQ a mobilisé deux équipes de plongeurs et deux hélicoptères. Un peu avant 15 h, un des hélicoptères s’est écrasé. Le pilote, qui a subi des fractures, a été conduit à l’hôpital de Roberval, mais il est hors de danger.

Le courant dans la Grande Décharge est puissant et se jette dans le barrage d’Isle-Maligne. La SQ a confirmé que des recherches avaient eu lieu à cet endroit.

Les policiers vont poursuivre leurs recherches jeudi.

Les trois rescapés sont hors de danger. Ils ont été pris en charge par les autorités diplomatiques françaises.

Physiquement, ils se portent bien. Mais moralement, ils sont choqués.

Laurent Barbot, consul général adjoint de France au Québec

Selon France Info, les touristes sont originaires de l’est de la France. Les trois rescapés sont des Alsaciens originaires de la région du Haut-Rhin. Parmi les cinq touristes portés disparus, deux autres, âgés de 24 et 34 ans, sont des Alsaciens, et trois, âgés de 24, 25 et 58 ans, sont originaires de la région voisine des Vosges, rapporte la radio publique française.

Venue d’urgence de Québec, la ministre de la Sécurité publique par intérim a rencontré les policiers au centre opérationnel de la SQ en soirée mercredi.

« Il y a une situation catastrophique ici », a lâché la députée de Chicoutimi, Andrée Laforest, après le breffage des policiers. « J’étais bouleversée quand j’ai eu la nouvelle. Le Saguenay–Lac-Saint-Jean, c’est la région de la motoneige. Je ne pouvais pas croire qu’il y avait une tragédie avec cinq disparus. »

La formation de guide est optionnelle 

La formation n’est pas nécessaire pour devenir guide de motoneige au Québec, explique la Fédération des clubs de motoneigistes du Québec. « Il n’y a pas de certification obligatoire présentement. C’est sur une base volontaire que les gens peuvent aller se chercher une formation », précise Marilou Perreault, directrice des opérations de la Fédération. Au moins une formation existe, offerte par Aventure écotourisme Québec. Mais une personne peut s’autoproclamer guide sans l’avoir suivie. Mme Perreault estime que la grande majorité des guides sont néanmoins expérimentés, comme ce semble avoir été le cas de celui qui a perdu la vie au Lac-Saint-Jean. Mais ne faudrait-il pas rendre la formation obligatoire ? « Est-ce que cet incident-là va amener le monde de la motoneige à se poser des questions ? Probablement », dit-elle. Jeudi, la ministre québécoise du Tourisme Caroline Proulx doit faire l’annonce d’un encadrement supplémentaire pour les agences de tourisme.

La motoneige a la cote auprès des touristes français

Chaque année, environ 30 000 touristes viennent au Québec pour faire des excursions hivernales, notamment à motoneige. « Les accidents impliquant des touristes sont des cas exceptionnels. L’industrie de la motoneige au Québec est très bien structurée », soutient Catherine Cournoyer, conseillère en développement des affaires de Tourisme Mauricie. « Les touristes européens constituent environ 10 % de notre clientèle, mais représentent 20 % de nos recettes en Mauricie », précise Mme Cournoyer. La clientèle hors Québec permet de maintenir un grand nombre d’établissements en vie pendant l’hiver, ajoute-t-elle. Français, Suisses et Belges sont friands d’excursions à motoneige, de pêche, de promenades en raquette et de balades en traîneaux à chiens. Ils apprécient la possibilité de faire plusieurs activités jugées typiques au même endroit avec un encadrement adéquat. « Si eux n’étaient pas là, beaucoup d’établissements fermeraient leurs portes. Ils sont une clientèle fidèle depuis maintenant une trentaine d’années », répète Mme Cournoyer.

L’inexpérience et l’alcool souvent en cause

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Le manque d’expérience des conducteurs de motoneige et la consommation d’alcool sont souvent en cause dans les accidents mortels impliquant ces engins, selon les 21 rapports du Bureau du coroner consultés par La Presse.

Les grands espaces enneigés du Québec font sa renommée à travers le monde. Chaque année, de nombreux visiteurs viennent admirer nos paysages hivernaux à motoneige. Parfois, le tout vire au drame. Au cours des 10 dernières années, plus d’une vingtaine de touristes ont perdu a vie dans des accidents de motoneige. Le manque d’expérience des conducteurs et la consommation d’alcool sont souvent en cause, selon les 21 rapports du Bureau du coroner consultés par La Presse.

Manque d’expérience

Au total, sept personnes venues de France ont connu une fin tragique à bord d’une motoneige, parmi la vingtaine de rapports consultés. On dénombre aussi un Suisse, un Belge, une femme en provenance d’Angleterre ainsi que deux Américains. Les cas d’accident impliquant des conducteurs débutants sont surreprésentés. Marion Rigaut, venue de Lille, en France, est morte à 25 ans lors d’une excursion à Lac-Beauport en mars 2018. Elle est montée comme passagère avec son conjoint, qui n’avait aucune expérience de conduite en motoneige. Ils avaient au préalable reçu une formation d’une heure sur la conduite en motoneige et les consignes de sécurité. Dans quatre autres cas impliquant des touristes venus d’Europe, l’inexpérience du conducteur a été soulignée par le coroner. La plupart conduisaient une motoneige pour la première fois.

Vitesse et alcool

Au total, 7 des 21 victimes avaient consommé de l’alcool avant de prendre la route ; il s’agit chaque fois de touristes venus de l’Ontario. Michael Kirby Haufe, un Ontarien de la région de Kanata, circulait à motoneige sur un sentier fédéré de Mont-Laurier en janvier 2018. Il a perdu la vie dans une sortie de route après avoir manqué un virage. Le taux d’alcoolémie retrouvé dans son sang correspondait au double de la limite permise lors de la conduite. Sa consommation importante pourrait avoir entraîné une perte de vigilance, précise le coroner dans son rapport.

Signalisation

La signalisation en bordure des sentiers est importante pour ceux qui connaissent peu les régions où ils séjournent. En février 2011, Antonio Riccardo, originaire de Stittsville, en Ontario, a percuté des arbres en sortant de sa piste à Rapides-des-Joachims, dans le Pontiac, en Outaouais. La signalisation était adéquate, selon les observations de la Sûreté du Québec (SQ). Néanmoins, certains panneaux étaient obstrués par la végétation. Le coroner a recommandé aux responsables du club de motoneige Pingouin de s’assurer que la signalisation soit en tout temps visible sur les sentiers de motoneige. Dans le cas de la Française Marion Rigaut, le rapport du coroner indique la présence d’un panneau limitant la vitesse. Il était cependant légèrement penché et visible seulement de près. De nombreux changements ont été apportés au chemin emprunté par la victime et son conjoint. La piste a notamment été élargie.

Noyade

Rock Joseph Forget, un motoneigiste ontarien ayant perdu la vie en janvier 2012, s’est aventuré sur la glace du lac des Quinze. Au sud de l’île, on ne peut traverser à cet endroit en motoneige, car ça ne gèle pas. « Ceux qui s’y aventurent cherchent le trouble », peut-on lire dans le compte rendu du coroner, citant plusieurs personnes consultées par la SQ. La méconnaissance du plan d’eau en saison hivernale jumelée à l’état d’ébriété de la victime et à des conditions météorologiques défavorables ont mené à cette triste fin.

Une industrie structurée

Dans chacun des 21 cas, les véhicules ont été inspectés avec minutie. Tous étaient parfaitement fonctionnels et ne présentaient aucune défaillance mécanique. De plus, les directives du guide ou de l’entreprise de location de motoneiges n’ont jamais été en cause. « Les touristes européens sont une clientèle loyale et prisée des pourvoiries et des services de location de motoneiges. Les guides sont généralement très bien formés et rien n’est laissé au hasard », affirme Catherine Cournoyer, conseillère en développement des affaires de Tourisme Mauricie.