« Il devrait être en institution depuis longtemps. Ce n'est pas normal de l'avoir laissé dehors. »

La mère de Frédérick Gingras essuie une larme. Assise sur le divan dans son logement de Repentigny, avec la télévision en arrière-plan qui passe en boucle les images du drame causé par son fils, elle serre les lèvres. Et retient ses sanglots.

« Je me suis occupée de lui toute ma vie ! Ça fait quatre ans que ça dure : psychose par-dessus psychose. Je suis fatiguée, démolie », dit-elle. Le père de son enfant est mort il y a longtemps. Elle l'a élevé seule pour la majeure partie de sa vie. « Toute seule ! »

Photo tirée de Facebook

À la fin du mois d'octobre, Frédérick Gingras a été arrêté pour avoir frappé sa mère. Le 14 novembre, il a plaidé coupable et écopé d'une peine d'un jour de détention à purger, ainsi que d'une probation de trois ans assortie de conditions liées à sa thérapie.

Si elle a accepté d'accorder une entrevue à La Presse, c'est pour marteler deux points en ce matin tragique. D'abord, son fils n'est pas un criminel, mais un malade, insiste-t-elle. « Tout le monde le sait qu'il est malade. Les policiers ici le savent ! »

Mais surtout, elle tient à souligner à quel point les familles sont laissées à elles-mêmes dans ce genre de situation. Son fils écrivait des lettres au diable, disait lui avoir vendu son âme. Elle voulait qu'il soit interné, en prison ou dans un établissement de soins. Mais personne n'a voulu le garder.

« Il n'y a pas de place, ç'a l'air. Pas de place pour ce monde-là. Il n'y a rien, fuck all. Ils les poussent tous dehors ! », rage-t-elle.

ARRÊTÉ PUIS LIBÉRÉ

À la fin du mois d'octobre, son fils a été arrêté pour l'avoir frappée. Le grand gaillard de plus de 6 pi et 240 lb croyait encore avoir vu le diable. La Direction des poursuites criminelles et pénales s'est opposée à sa remise en liberté. Il a été évalué à l'hôpital, a séjourné brièvement à la prison de Saint-Jérôme.

Le 14 novembre, il a plaidé coupable et écopé d'une peine d'un jour de détention à purger, ainsi que d'une probation de trois ans assortie de conditions liées à sa thérapie.

Sa mère n'était pas d'accord pour qu'il retourne en société, lui qui multipliait les arrestations pour toutes sortes de petits débordements.

Après avoir habité au centre de désintoxication Nouvelle Vie, menacé de fermeture par manque de fonds, puis à l'hôpital Le Gardeur, puis chez sa mère, Frédérick Gingras vivait maintenant dans un refuge montréalais pour personnes en difficultés.

Sa mère croit qu'il n'a pas eu sa dernière injection de médicament antipsychotique. Déjà, la dose avait été diminuée, croit-elle. Elle a du mal à avoir des détails, car le dossier d'un adulte est confidentiel. Elle ne sait même pas précisément quel est le diagnostic de son enfant.

Jointe au téléphone par La Presse hier, la psychiatre de Frédérick Gingras, la Dre Carmen Lalanda, a expliqué que le secret professionnel l'empêche d'expliquer le traitement. « Vous savez qu'en aucun cas je ne peux discuter du cas d'un de mes patients », a-t-elle dit.

Dimanche soir, Frédérick Gingras a visité sa grand-mère. Puis sa tante l'a conduit à une station de métro. Elle a appelé sa soeur pour dire qu'il ne « filait pas ». Hier matin, la nouvelle a frappé la famille de plein fouet. L'horreur. Ils ne pouvaient arrêter de penser aux victimes.

« Ils ont déployé 100 policiers ce matin, on n'aurait pas pu déployer d'autre monde avant pour m'aider ? », se demande la mère en secouant la tête.

MANQUE CRIANT DE RESSOURCES

Me Patricia Vendrame Ethier, l'avocate qui a représenté Frédérick Gingras à son dernier passage au palais de justice de Joliette, n'a pas voulu commenter son dossier hier soir. Mais elle ne peut s'empêcher de souligner les conditions dans lesquelles elle et ses confrères de l'aide juridique travaillent dans la région.

« Le manque de ressources en santé mentale est criant dans les palais de justice. Nous, à Joliette, nous n'avons pas de tribunal en santé mentale. On nous avait annoncé qu'on en aurait peut-être un, mais il se fait toujours attendre », déplore-t-elle.

Au bureau du ministre de la Santé Gaétan Barrette, on restait prudent, hier.

« Évidemment, nous offrons toutes nos sympathies aux familles des victimes et nous avons aussi beaucoup d'empathie pour la mère du suspect, qui vit certainement des moments difficiles », a déclaré l'attachée de presse Julie White.

« Mais on ne peut pas commenter le dossier d'un suspect alors que nous n'avons pas toute l'information. Une enquête policière est en cours, nous allons laisser les policiers faire la lumière sur les circonstances de l'événement », a affirmé la porte-parole.

- Avec la collaboration de Daniel Renaud, La Presse