(GRANBY) C’était le genre de scène qui vous réconcilie avec la vie. Leylah Annie Fernandez venait de perdre sèchement la finale du tournoi contre Lizette Cabrera, 6-1 et 6-4. Bonne joueuse, elle a enlacé sa rivale au filet et a gardé le sourire pendant la cérémonie de remise de trophée, une étape jamais facile pour celle qui vient de perdre.

Fernandez peut maintenant quitter le terrain. Chemin faisant, elle passe derrière Cabrera, qui est en train de poser avec son trophée. La Lavalloise fait alors ce que toute ado de 16 ans ferait dans les circonstances, parce que justement, elle a 16 ans. Elle fait la grimace derrière Cabrera. Un « photobomb », comme le disent les jeunes dans le vent.

« Je ne l’ai pas planifié, mais quand j’ai vu Francis prendre une photo, j’étais obligée de le faire ! », a lancé Fernandez en riant.

« Elle est passée derrière nous, mais c’était totalement correct ! Elle est tellement gentille ! », ajoute la championne Cabrera. Manifestement, le courant passe entre les deux joueuses, peut-être en raison des origines philippines qu’elles ont en commun.

Il y a des défaites plus dures à avaler que d’autres. Mais quand on a 16 ans, quand on est chez les professionnelles depuis seulement quelques semaines, et que, déjà, on se rend en finale, il y a de quoi garder la tête haute.

Fernandez n’était pas prête à aller aussi loin dans ses commentaires. 

Lizzie a très bien joué, elle a mérité le trophée. Moi, je n’ai pas bien joué. Elle en a profité et félicitations à elle.

Leylah Annie Fernandez 

Mais les centaines de spectateurs autour du terrain, qui l’ont vue jouer toute la semaine, le savaient très bien : ce n’est pas la fin du monde.

« Les défaites endurcissent, on apprend beaucoup des défaites, rappelle Louis Borfiga, vice-président au développement de Tennis Canada. Aujourd’hui, on peut mettre la défaite sur un manque de jus, d’énergie. Elle a beaucoup joué, il fait très chaud. Mais ce n’est pas grave. Vaut mieux arriver en finale fatiguée qu’être bien frais et perdre quand même ! »

Séquence impressionnante

Fernandez rejette l’excuse de la fatigue. « La fatigue n’explique pas mon niveau aujourd’hui. J’ai fait trop d’erreurs », a-t-elle répondu. Réaction attendue d’une joueuse qui se fixe de hauts standards de performance. Mais prenons un pas de recul.

Fernandez disputait hier sa quatrième finale en deux mois. Cette folle séquence a commencé fin mai, au tournoi junior de Charleroi, qu’elle a gagné. Ça s’est poursuivi aux Internationaux juniors de France, qu’elle a aussi remportés grâce à ses six victoires.

Après Roland-Garros, elle a fait le passage chez les pros. Après une défaite au premier tour à Saskatoon, voici qu’elle vient de remporter le Challenger de Gatineau, et qu’elle a perdu hier en finale du Challenger de Granby. Dans les deux dernières semaines, elle a disputé 10 matchs.

« À son âge, c’est ce qu’il faut faire, emmagasiner beaucoup d’expérience, rappelle Borfiga. En plus, pour elle, c’est de l’expérience et des victoires. On progresse en jouant des matchs, pas en ne faisant que de l’entraînement. Elle est sur une bonne lancée. »

La suite à Toronto

Parlant d’expérience… La Coupe Rogers s’amorce la semaine prochaine à Toronto. L’an passé, Fernandez avait participé aux qualifications, et s’était inclinée au deuxième tour.

Cette année, elle ne devrait pas avoir à passer par cette étape. On saura en milieu de semaine quelles Canadiennes auront droit aux trois laissez-passer pour le tableau principal, mais selon ce qui se raconte par ici, Fernandez en recevra assurément un.

« Elle en rêve, et c’est normal de récompenser celles qui font beaucoup d’efforts et qui ont gagné beaucoup de matchs, dit Borfiga. Elle a gagné Roland-Garros junior, donc ce serait presque illogique de ne pas lui en donner un. En plus, elle a confirmé sur un Challenger. Je pense qu’elle a le niveau pour jouer. À la limite, elle peut même réussir un exploit au premier tour. »

« Si j’ai un laissez-passer pour les qualifications ou pour le tableau principal, je serai contente. Juste d’avoir l’expérience de jouer à Toronto, ce sera spécial. Je vais apprendre à tous les matchs », a indiqué Fernandez.

Fernandez ne jouera pas de tournoi cette semaine en attendant Toronto. Elle pourra donc refaire le plein d’énergie afin de démontrer qu’elle peut tenir son bout face à des joueuses de l’élite. 

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Leylah Annie Fernandez 

Mais si on se fie à son adversaire du jour – qui n’a pourtant pas vu son meilleur côté ! –, ça ne devrait pas être un problème.

« Elle connaît toute une saison et c’est une bonne personne. Elle est super respectueuse et j’ai beaucoup d’admiration pour elle, a témoigné Lizette Cabrera. Elle accomplira de grandes choses et elle sera bonne pour le tennis canadien. Elle a été très bonne chez les juniors et chez les pros jusqu’ici. C’est un nom qui circule. Je sais que plusieurs joueuses australiennes la connaissent et savent qu’elle sera bonne. »

L’Australienne avait d’ailleurs toutes les raisons d’être ravie et élogieuse après le match. Cette victoire lui permet d’intégrer le top 200 mondial, ce qui lui donnera accès aux qualifications des Internationaux des États-Unis. Pour donner une idée de grandeur, une défaite au premier tour des qualifications à Flushing Meadows vaut une bourse de 11 000 $, soit l’équivalent de ce qu’elle empoche pour sa victoire en finale hier. Pour des joueuses qui tentent de grimper dans la hiérarchie, c’est loin d’être banal.

« C’est déjà spécial de gagner, et d’avoir ça en plus, c’est assez spécial ! », s’est exclamée la gagnante.

Une journée gagnante-gagnante. Cabrera qui gagne un tournoi et qui grimpe les échelons, Fernandez qui gagne de l’expérience.