(Tel-Aviv) Un soir du mois dernier, les trains en provenance de Tel-Aviv étaient bondés lorsque Inbal Boxerman, 40 ans et mère de deux enfants, a été bloquée par un mur d’hommes alors qu’elle tentait de monter à bord. L’un d’eux lui a dit que les femmes n’étaient pas autorisées à monter, puisque le wagon était réservé aux hommes.

Mme Boxerman est stupéfaite. Il s’agissait d’un train public exploité par les Chemins de fer israéliens, et la ségrégation des sièges est illégale dans le pays. Les hommes qui l’arrêtaient semblaient être des manifestants rentrant d’un rassemblement de soutien à la coalition gouvernementale, qui comprend des partis extrémistes religieux et d’extrême droite prônant une plus grande ségrégation sexuelle et un retour à des rôles plus traditionnels pour les hommes et les femmes.

« J’ai dit : ‟Vraiment ?”, raconte Mme Boxerman, qui travaille dans le marketing. Mon amie s’est approchée et a dit elle aussi : ‟Vraiment ?” Mais ils ont ri et m’ont dit : ‟Attends le prochain train, tu pourras t’asseoir à l’arrière”. Et les portes se sont refermées. »

Les transports publics sont le dernier front d’une guerre culturelle en Israël sur le statut des femmes dans une société fortement divisée entre une majorité laïque et une minorité politiquement puissante de juifs ultraorthodoxes, qui désapprouvent la mixité en public.

PHOTO AVISHAG SHAAR-YASHUV, THE NEW YORK TIMES

Inbal Boxerman, le 4 août dernier à Binyamina-Giv’at Ada, en Israël

Bien que la Cour suprême ait statué qu’il était illégal d’obliger les femmes à s’asseoir dans des sections séparées dans les bus et les trains, les femmes ultraorthodoxes ont l’habitude de monter dans les bus de leur quartier par la porte arrière et de s’asseoir à l’arrière. Aujourd’hui, cette pratique semble s’étendre à d’autres régions d’Israël.

Des concessions à l’extrême droite

Des incidents tels que celui décrit par Mme Boxerman ont été largement médiatisés depuis que le premier ministre Benyamin Nétanyahou a intégré des partis d’extrême droite et ultraorthodoxes dans sa coalition gouvernementale, à la fin de l’année dernière.

Dans le cadre d’un accord avec des alliés ultraorthodoxes qui a sous-tendu la formation de la coalition, M. Nétanyahou a fait plusieurs concessions qui ont déstabilisé les Israéliens laïques.

Il a notamment proposé de séparer les spectateurs par sexe lors de certains évènements publics, de créer de nouvelles communautés résidentielles religieuses, d’autoriser les entreprises à refuser de fournir des services sur la base de croyances religieuses et d’étendre les pouvoirs des tribunaux rabbiniques exclusivement masculins.

Les partisans de l’élargissement des compétences des tribunaux rabbiniques – comme Matan Kahana, un ancien ministre des Affaires religieuses qui siège toujours au Parlement, mais ne fait pas partie de la coalition gouvernementale – font valoir qu’en tant que société pluraliste, Israël devrait tolérer la ségrégation sexuelle dans certains domaines afin de satisfaire les ultraorthodoxes, pour qui il s’agit d’un mode de vie.

« Je suis tout à fait favorable aux tribunaux rabbiniques, qui sont un symbole de la souveraineté israélienne sur notre propre terre et de notre lien éternel avec la loi hébraïque », a-t-il déclaré sur Twitter au début de l’année.

Bien que certaines femmes au sein de la coalition dirigée par le Likoud soient fidèles à son programme, les deux partis ultraorthodoxes, qui n’autorisent pas les femmes à se présenter aux élections, sont les principaux promoteurs du renforcement des tribunaux rabbiniques.

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Membres de groupes ultraorthodoxes sur une plage réservée aux hommes, près d’Ashod, le 9 août dernier

Les lois israéliennes n’ont pas été modifiées pour refléter ces concessions, mais certains craignent que les changements soient déjà en cours, aux dépens des femmes. Ces derniers mois, les médias israéliens se sont fait l’écho d’incidents jugés discriminatoires.

Des chauffeurs de bus du centre de Tel-Aviv et du sud d’Eilat ont refusé de prendre des jeunes femmes parce qu’elles portaient des hauts courts ou des vêtements de sport. Le mois dernier, des hommes ultraorthodoxes de la ville religieuse de Bnei Brak ont arrêté un bus public et bloqué la route parce qu’une femme conduisait.

La semaine dernière, les médias israéliens ont rapporté que le service national d’urgences médicales et de catastrophes d’Israël séparait pour la première fois les hommes et les femmes pendant la partie théorique de la formation paramédicale entreprise pour répondre à une exigence du service national. Un porte-parole, Nadav Matzner, a déclaré que de nombreux étudiants étaient religieux et a souligné que toute la formation clinique se déroulerait dans des environnements mixtes et que les ambulanciers paramédicaux devaient fournir des soins à tout le monde.

Au cours de la dernière décennie, la ségrégation sexuelle s’est infiltrée dans de nombreux domaines. Les petites universités publiques qui accueillent des étudiants ultraorthodoxes à la recherche d’un diplôme de premier cycle pratiquent la ségrégation par sexe. Certains cours de conduite et de formation professionnelle du gouvernement ont organisé des séances séparées par sexe, et certaines bibliothèques publiques affichent des heures d’ouverture séparées pour les filles et les garçons.

« Ils sont en train de changer les règles du jeu »

Aujourd’hui, les exigences des partis ultraorthodoxes et d’extrême droite de la coalition pourraient radicalement transformer le visage d’un pays où l’égalité des droits pour les femmes est garantie dans la déclaration d’indépendance de 1948 et renforcée par plusieurs décisions clés de la Cour suprême.

PHOTO MAYA ALLERUZZO, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

La militante et directrice de Bonot Alternativa, Moran Zer Katzenstein, le 2 août dernier

« Ce qui se passe ici n’est pas une question de gauche ou de droite ; ils sont en train de changer les règles du jeu, et cela aura un effet dramatique sur les femmes », a déclaré Moran Zer Katzenstein, qui dirige Bonot Alternativa, un groupe pro-démocratie, ainsi qu’un groupe parapluie non partisan d’organisations féminines.

Nos droits seront les premiers à être lésés.

Moran Zer Katzenstein, directrice de Bonot Alternativa

Les membres de Bonot Alternativa se présentent aux manifestations antigouvernementales hebdomadaires vêtues de robes écarlates et de guimpes blanches qui imitent celles des femmes privées de leurs droits et forcées de porter des enfants dans la série télévisée dystopique basée sur le roman de Margaret Atwood La servante écarlate.

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Une militante de Bonot Alternativa en train de coudre des robes rouges à Karkur, en Israël, le 4 août dernier.

Les défenseurs des femmes s’inquiètent également des efforts du gouvernement pour affaiblir la Cour suprême, qui a soutenu l’égalité des droits pour les femmes dans plusieurs domaines, en facilitant les poursuites en cas d’inégalité salariale, en annulant l’interdiction faite par l’armée aux femmes pilotes de chasse et en déclarant illégale la ségrégation obligatoire entre les sexes dans les trains et les bus publics.

Toutefois, la Cour a autorisé la ségrégation sexuelle dans les salles de classe des universités, une concession faite pour inciter les hommes ultraorthodoxes à faire des études et à entrer dans la vie active, a précisé le professeur Yofi Tirosh, vice-doyen de la faculté de droit de l’Université de Tel-Aviv. De nombreux hommes ultraorthodoxes font des études religieuses à plein temps et ne travaillent pas ou ne servent pas dans l’armée.

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Militantes pour l’égalité des genres priant à Jérusalem, le 2 mai dernier

Yofi Tirosh a affirmé que les femmes seraient perdantes, car davantage de ressources financières sont investies dans les programmes pour hommes, les étudiantes sont dirigées vers des emplois typiquement considérés comme féminins, et la ségrégation sexuelle s’étend aux lieux de travail et aux lieux publics.

Lorsque les femmes et les hommes sont assis séparément lors de spectacles et de concerts financés par des fonds publics pour répondre aux souhaits des ultraorthodoxes, « les femmes sont assises à l’arrière », a-t-elle souligné.

Cet article a été publié à l’origine dans le New York Times.

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