(Moscou) La Russie « va de l’avant » : Vladimir Poutine, ragaillardi par les difficultés de l’Ukraine, a affiché jeudi sa confiance en la « victoire » au cours d’une séance de questions-réponses, une semaine après avoir annoncé son intention de rester au Kremlin.

Confiant qu’en 2024 le temps jouera en sa faveur et que les revers de son armée en 2022 appartiennent au passé, le président russe a répondu aux questions de la presse et de citoyens pendant un peu plus de quatre heures, un exercice traditionnel auquel il avait renoncé l’année dernière.

Interrogé sur les attaques menées par l’armée russe depuis la fin de la contre-offensive estivale avortée des Ukrainiens, il a affiché sa satisfaction.

« Pratiquement sur toute la longueur de la ligne de contact, nos forces armées améliorent leurs positions », a affirmé M. Poutine, les militaires russes grignotant du terrain depuis plusieurs semaines.

« La victoire sera à nous », a clamé M. Poutine, promettant de se rendre à une date indéterminée dans les régions d’Ukraine dont Moscou a revendiqué l’annexion en septembre 2022.

Intraitable sur ses objectifs

Il a signifié que ses objectifs étaient inchangés en Ukraine après deux ans de conflit : chasser le pouvoir actuel, qu’il qualifie de nazi, et détruire les capacités militaires de son voisin pro-occidental.

« Je vous rappelle ce dont nous avons parlé : la dénazification et la démilitarisation de l’Ukraine, son statut de neutralité », a-t-il déclaré, ajoutant que la solution « sera négociée ou obtenue par la force ».

Le président russe a pour la première fois révélé combien de soldats russes étaient en Ukraine : 617 000, parmi lesquels 244 000 mobilisés. Une force considérable occupant quelque 17-18 % du territoire ukrainien.

Il n’a en revanche pas révélé les pertes de son armée, les États-Unis les évaluant à 315 000 militaires blessés ou morts.

Sur le terrain, les Ukrainiens ont dit avoir abattu 41 des 42 drones lancés par la Russie dans la nuit, mais l’ampleur de l’attaque illustre la pression militaire croissante qu’exerce Moscou. Mardi, une cinquantaine de personnes avaient été blessées à Kyiv par la chute de débris de missiles russes abattus.

L’armée ukrainienne a de son côté lancé neuf drones explosifs en direction de la Russie dans la nuit de mercredi à jeudi. Selon le ministère russe de la Défense, tous ont été abattus.

« Marge de sécurité »

Interrogé sur la résistance de l’économie russe face aux sanctions occidentales, M. Poutine s’est aussi montré sûr de lui, évoquant la « forte consolidation de la société russe », la « stabilité du système financier et économique » et « l’augmentation des capacités militaires » de la Russie.

Celle-ci a « une marge de sécurité […] suffisante non seulement pour se sentir en confiance, mais aussi pour aller de l’avant ».

S’il admet que l’inflation, attendue à 7,5-8 % à la fin de l’année, est trop élevée et s’il a promis des mesures, le chef de l’État russe s’est avant tout félicité de la croissance prévue de 3,5 % en 2023.

La Russie continue de vendre assez de ses hydrocarbures pour financer l’effort de guerre. Et l’industrie a été réorientée sur les commandes d’État d’armements et de munitions.

L’économie russe semble ainsi avoir absorbé le choc immédiat des sanctions, mais leurs effets à plus long terme peuvent être dévastateurs, le pays étant coupé de certaines technologies de pointe et de pans entiers du système bancaire international.

Sur le plan diplomatique, Moscou peut aussi se satisfaire de voir les soutiens occidentaux de l’Ukraine se quereller sur la poursuite de leur aide militaire et sur les perspectives d’adhésion de l’Ukraine à l’UE.

Dernière illustration en date, jeudi, le premier ministre Viktor Orban a affirmé en arrivant au sommet européen de Bruxelles que l’UE n’était « pas en position » d’ouvrir des négociations d’adhésion.

« N’offrez pas une victoire » à Vladimir Poutine, a à cet égard lancé le même jour le président ukrainien Volodymyr Zelensky aux 27 États membres de l’Union européenne, soulignant que l’heure n’est pas à « l’hésitation et aux demi-mesures ».

Opposition éradiquée

Selon la télévision russe, plus de 2,8 millions de questions ont été envoyées à Vladimir Poutine pour l’émission de jeudi, couvrant l’Ukraine, mais aussi des problèmes de la vie quotidienne.

Comme tous les ans, certaines doléances de citoyens ont été réglées presque en direct. Des enfants s’étant adressés à M. Poutine ont obtenu jeudi la rénovation d’une salle de sport en Crimée, un territoire ukrainien annexé.

Le président a toutefois évité de répondre aux messages critiques, envoyés par texto, qui apparaissaient sur un écran géant dans le studio. « Pas besoin d’être candidat à un nouveau mandat. Laissez la place aux jeunes », écrivait un spectateur.

Car ce marathon de questions-réponses est l’occasion pour M. Poutine de faire campagne, une semaine après avoir fait part de son ambition de rester au Kremlin, au moins jusqu’en 2030, l’année de ses 78 ans.

L’opposition a été méthodiquement éradiquée par le Kremlin, si bien que le scrutin de mars 2024 apparaît comme une formalité.

Son principal détracteur, le militant anticorruption emprisonné Alexeï Navalny, est d’ailleurs introuvable depuis plus d’une semaine. Cela pourrait signifier son transfert vers une colonie pénitentiaire aux conditions de détention encore plus rudes, où il devra purger sa peine de 19 ans de prison pour « extrémisme ».

Poutine face à son double virtuel

Vladimir Poutine s’est retrouvé face à lui-même, ou en tout cas à son double virtuel généré grâce à la technologie « deepfake », jeudi lors de sa grande séance de questions-réponses télévisée avec des citoyens.

PHOTO ANTON VAGANOV, REUTERS

Un étudiant de Saint-Pétersbourg, qui l’interrogeait sur la montée en puissance de l’intelligence artificielle, est apparu à l’image sous les traits et avec la voix de Vladimir Poutine, grâce à un trucage numérique.

Il a également demandé s’il était vrai que le président russe a « beaucoup de sosies », déclenchant quelques éclats de rire dans l’assemblée.

L’étudiant, qui n’a pas donné sa vraie identité, faisait référence à des rumeurs récurrentes et déjà démenties par le Kremlin selon lesquelles Vladimir Poutine serait malade et aurait recours à des doublures pour certaines apparitions publiques.

« Je vois que vous pouvez me ressembler et parler comme moi », a répondu Vladimir Poutine, visiblement désarçonné, à son double virtuel.

« Mais j’y ai réfléchi et j’ai décidé qu’une seule personne devait me ressembler et utiliser ma voix, et il s’agit de moi-même », a-t-il poursuivi.

« D’ailleurs, c’est mon premier sosie », a repris le président.

Les rumeurs persistantes sur l’état de santé de Vladimir Poutine et son éventuel recours à des sosies vont bon train depuis des années, alimentées par la rareté de ses apparitions publiques durant la pandémie de COVID-19.

Le Kremlin assure régulièrement que tout cela est faux et que le président n’est pas malade.

Les photos et vidéos « deepfake » sont des montages perfectionnés et de plus en plus crédibles, montrant généralement des célébrités ou des dirigeants, qui représentent un défi dans la lutte contre la désinformation.