Nouveau chapitre dans la croisade pour la laïcité en France : après avoir proscrit le voile dans les écoles, le gouvernement veut y interdire l’abaya. La décision suscite la polémique et divise la classe politique.

Quelle est cette mesure ?

L’abaya ne sera plus permise dans les écoles françaises. Le ministre de l’Éducation et de la Jeunesse, Gabriel Attal, a annoncé dimanche une mesure visant son interdiction.

PHOTO BERTRAND GUAY, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Gabriel Attal, ministre de l’Éducation et de la Jeunesse de France

Pourquoi ? Parce que cette robe d’origine moyen-orientale est considérée comme un signe religieux « ostensible », contrevenant ainsi à la loi de 2004 sur la laïcité, qui proscrit déjà le port du voile dans les établissements scolaires.

Pourquoi maintenant ?

Parce que les manquements à cette loi seraient en recrudescence depuis deux ans et que, selon les chiffres officiels, plus de 40 % des signalements concernent l’abaya. Le problème ne concernerait que 150 établissements sur des dizaines de milliers, mais, selon Gabriel Attal, il était urgent de « faire bloc » contre ces entorses à la loi. « J’ai décidé qu’on ne pourrait plus porter l’abaya à l’école. Lorsque vous entrez dans une salle de classe, vous ne devez pas être capable d’identifier la religion des élèves en les regardant », a expliqué le ministre à la télévision.

Qu’est-ce qu’une abaya ?

Originaire des pays du golfe Persique, l’abaya, mot qui signifie « manteau » en arabe, est une robe traditionnelle longue et ample, qui couvre le corps du cou jusqu’aux poignets et aux pieds. Elle est souvent de couleur sobre même si certains modèles sont plus flamboyants. Elle ne couvre pas le visage.

Est-ce un signe religieux ?

C’est là toute la question. Depuis dimanche, décrypteurs et journalistes tentent d’expliquer en quoi ce vêtement doit être considéré comme un signe religieux ostensible. Mais leurs démonstrations semblent parfois boiteuses. En fait, ce n’est pas clair. Le Coran ne précise nulle part qu’une femme doit porter l’abaya, seulement qu’elle doit couvrir son corps. « À la base, ce n’est qu’une robe, souligne Monia Bouguerra, porte-parole du parti Union des démocrates musulmans français (UDMF). Certaines jeunes filles peuvent la porter pour des raisons religieuses, mais d’autres parce qu’elles sont complexées et qu’elles n’ont pas envie de porter des vêtements moulants. » Mme Bouguerra, qui est aussi professeure, admet toutefois que le port de l’abaya est depuis quelques années en augmentation, en raison d’un « phénomène de mode », résultat d’un effet d’entraînement sur les réseaux sociaux. Bref, on nage en pleine zone grise. « On voit que ça va être extrêmement difficile de quantifier et de définir rationnellement, précisément ce qu’est une abaya », résume le politologue Bruno Cautrès, professeur à Sciences Po Paris.

Qu’en pense la sphère politique ?

La question de la laïcité obsède la France et revient en boucle dans le débat public. Ce nouveau chapitre ne fait pas exception. La droite et l’extrême droite, de même que certains partis de gauche (socialistes et communistes), ont applaudi la mesure au nom des « valeurs républicaines ». Le parti de gauche radicale La France insoumise, première force d’opposition en France, a cependant dénoncé cette mesure « islamophobe » et « cruelle ». Lundi, sur X (anciennement Twitter), son leader, Jean-Luc Mélenchon, a indiqué « [sa] tristesse de voir la rentrée scolaire politiquement polarisée par une nouvelle absurde guerre de religion entièrement artificielle à propos d’un habit féminin ». De son côté, l’UDMF fustige cet acharnement. « Il y a un ras-le-bol, lance Mme Bouguerra. Chaque année, il y a une nouvelle humiliation et une restriction de nos libertés. Sans verser dans la victimisation à outrance, on a le sentiment que la communauté musulmane est plus stigmatisée que les autres. »

Qu’en disent les experts ?

Il y a ceux qui sont pour et ceux qui sont contre. Outre le fait que cette mesure vient renforcer les principes de laïcité, elle dissipe une ambiguïté qui posait problème aux responsables des écoles. « Il y avait un flou, explique Sylvie Pierre, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication au Centre de recherche sur les médiations de l’Université de Lorraine. Jusqu’à maintenant, c’était aux chefs d’établissements de dire s’ils acceptaient ou non ce vêtement. Or, quand il y a un flou, ça laisse place aux interprétations. Là, ça a le mérite d’être clair. Ce n’est pas mettre de l’huile sur le feu. C’est faire en sorte qu’on puisse vivre ensemble de façon apaisée, dans une société pluraliste. »

Professeur de politique française au University College de Londres, Philippe Marlière pense tout le contraire. « Les Français marchent sur la tête ! Ils pensent, avec leurs idées d’interdiction successives, trouver une solution qui va provoquer une sorte d’égalité entre les élèves qui est tout à fait forcée. Il y aura toujours un nouveau vêtement, un nouveau signe que les élèves vont porter […]. À mon avis, c’est l’interprétation d’un malaise d’une intégration qui se fait mal à l’école. Ce qu’on veut, c’est pouvoir montrer du doigt certains élèves, qui finissent par se sentir mal accueillis et mis à l’index. »

À quoi peut-on s’attendre pour la suite ?

M. Marlière suggère une solution pour en finir avec ce « feuilleton français interminable » sur les signes religieux. « Si le ministre est préoccupé par le port de certains vêtements, qu’il impose donc l’uniforme dans les écoles, comme au Royaume-Uni », dit-il. Mais ce scénario, régulièrement évoqué, risque à son tour de provoquer remous et contestations. « C’est une fausse bonne idée », soutient Mme Bouguerra.

Quant au débat sur l’abaya, il n’est pas terminé. « C’est typiquement le genre d’histoire qui est susceptible d’enfler, conclut Bruno Cautrès. On va se retrouver avec un problème sans fin, auquel personne n’a la solution, avec toujours les mêmes termes du débat, c’est-à-dire une opposition entre ceux qui vont vouloir défendre une laïcité très stricte, un peu intransigeante parfois, et d’autres qui vont dire : “Non : c’est en étant strict qu’on accentue les mécanismes d’exclusion sociale.” »

Le parti La France insoumise a déjà manifesté son intention de soumettre la question à l’arbitrage du Conseil constitutionnel, plus haute autorité constitutionnelle de France.