Pour pallier le manque de piscines municipales en France, Jean-François Buisson a créé une piscine sur roues. Elle se déplace dans tout le pays pour enseigner la natation aux enfants.

« Augustin, n’oublie pas, il faut regarder ses pieds ! »

L’heure est grave. Après quatre jours intensifs d’apprentissage de la nage, les enfants de l’école de Nucourt, dans la région parisienne, passent l’évaluation de plongeon. Comme tous les enfants français, ils sont censés savoir nager avant d’entrer au collège – généralement à 11 ans. Mais eux ont bien failli passer à côté. Dans leur ville et aux alentours, aucune piscine à l’horizon. C’est donc dans un camion qu’ils passent leur examen de natation. Le semi-remorque estampillé Aqwa Itineris a parcouru la France entière pour arriver jusqu’ici. À l’intérieur, un petit bassin de nage, des vestiaires, des toilettes.

Une véritable piscine sur roues.

IMAGE TIRÉE DU SITE AQWAITINERIS.FR

Des enfants se baignent dans la « salle de classe aquatique ».

La seule piscine de la communauté de communes, Vexin Centre, un regroupement qui compte 34 villes, a été détruite par les tempêtes de 1999, qui ont fait 92 morts en France, explique Elizabeth Dufour, responsable administrative de la communauté. « Avant, certaines écoles avaient des plages horaires dans les villes plus éloignées, mais maintenant, plus du tout. Ça coûte trop cher. » Le principe d’une piscine mobile était exactement ce dont Nucourt et les villes autour avaient besoin. Le camion s’installe quelques semaines dans un village, et les cours intensifs de natation peuvent commencer.

Le concept est né il y a 12 ans dans l’esprit de Jean-François Buisson. Ancien humanitaire au Maroc, il a souvent dû apprendre à ses secouristes à nager. Pour cela, il a recyclé un concept inventé par son propre père dans les années 1950 : le plancher réglable. « C’est une méthode d’apprentissage qui permet de savoir nager en trois séances », assure le natif de Lyon, qui réside désormais en Suisse.

IMAGE TIRÉE DU SITE AQWAITINERIS.FR

Jean-François Buisson, fondateur d’Aqwa Itineris

On peut commencer avec trois centimètres d’eau pour combattre la peur de l’eau tout en étant en position horizontale. Petit à petit, on abaisse le plancher pour arriver à 1,30 m de profondeur.

Jean-François Buisson, fondateur d’Aqwa Itineris

En embarquant l’idée de son père dans un semi-remorque, Jean-François Buisson a créé une « salle de classe aquatique » dont il est très fier.

Gouffres financiers et écologiques

Avec ses 4135 piscines et 6412 bassins de pratique de la natation, la France comptait, en 2017, un bassin pour 10 000 habitants. Mais leur répartition pose un problème. Véritables gouffres financiers – et écologiques –, elles ne sont pas bien entretenues et ne permettent d’accueillir qu’une partie de tous les enfants qu’il faut former à la nage. « Il n’y a pas trente-six mille solutions : soit on construit une piscine, soit on en prend une sur roues qui reste quelques semaines et revient l’année d’après », analyse le fondateur d’Aqwa Itineris.

Depuis, les bassins mobiles d’Aqwa Itineris – pour l’instant seul présent sur le marché du camion-piscine – sillonnent la France toute l’année. À Nucourt, Elizabeth Dufour explique qu’il a fallu répondre à plusieurs questions avant que le camion puisse s’installer. « Il faut que ce soit raccordé à l’électricité, pouvoir évacuer l’eau chlorée, et on ne peut pas le faire n’importe comment, et il faut pouvoir remplir le bassin. Ici, faute d’autres possibilités, on l’a fait au tuyau d’arrosage ! »

Stationné sur un terrain appartenant à la collectivité, le camion utilise 1200 litres d’eau par jour. Bien loin des centaines de milliers nécessaires au bon fonctionnement d’une piscine municipale avec plusieurs couloirs de natation.

IMAGE TIRÉE DU SITE AQWAITINERIS.FR

Le camion d’Aqwa Itineris utilise 1200 litres d’eau par jour, bien loin des centaines de milliers nécessaires au bon fonctionnement d’une piscine municipale.

À l’intérieur, un air chaud et chloré nous accueille. Deux maîtres-nageurs – l’un travaille très régulièrement avec Aqwa Itineris et suit le camion partout en France, l’autre vient de la communauté voisine – s’activent à faire nager cinq enfants.

Sandrine Valter, mère de famille, a choisi d’être accompagnatrice pour cette séance de natation. Le téléphone à la main pour filmer sa progéniture, elle dit « adorer le dispositif ». « C’est ingénieux ! Le fond se baisse ou se relève. L’eau est plutôt chaude. Et surtout, ça permet aux enfants d’apprendre à nager dans les villages ruraux. » « Super projet ! », lance-t-elle à Jean-François Buisson, qui vient s’assurer du bon fonctionnement de la machine.

« Bénéfique » pour les enfants

Sandrine Valter avait déjà pris les devants avec ses enfants et les avait inscrits à des cours de natation l’été dernier, en vacances. « Mais tout le monde n’a pas les moyens de faire ça, donc c’est très bien que ce soit organisé avec l’école », estime-t-elle. Christelle Gueribout, la deuxième accompagnatrice du jour, partage cet avis. « Mes enfants se débrouillaient avant de faire la session piscine ici, mais ils se sont nettement améliorés. C’est bénéfique pour eux. »

Si la piscine sur roues ne se déplace pour l’instant qu’en France, rien ne l’empêcherait de dépasser les frontières. « Au tout début, on l’a testée à Evolène, en Suisse, à 1300 mètres d’altitude. Elle fonctionnait très bien ! À l’intérieur, il faisait chaud et sur le toit, une couche de glace de plusieurs centimètres s’était formée, j’ai dû la briser à la main avant de repartir », se souvient Jean-François Buisson.

Depuis, les parois du camion se sont adaptées. Plus épaisses pour les départements où il fait froid, fines lorsque le climat est doux. Voilà qui pourrait donner des envies de piscines mobiles au Québec.