(Novodarivka, Ukraine) Une bouteille de sirop à base de baies de Sibérie, des légions de chaussettes sales et un sachet de thé militaire portant l’inscription « Pour la victoire ».

Pour les soldats ukrainiens, l’un des avantages de la contre-offensive lancée il y a un mois dans le sud de l’Ukraine est qu’ils peuvent s’approprier les fortifications déjà construites par les Russes en retraite, qui ont creusé des tranchées profondes et bien protégées pendant des mois de préparatifs.

Pour les Ukrainiens, étrangement, cela signifie également qu’ils doivent vivre et se battre sur des positions tenues depuis longtemps par les Russes, avec un grand nombre de débris militaires et d’objets personnels de soldats russes éparpillés un peu partout.

PHOTO DAVID GUTTENFELDER, THE NEW YORK TIMES

Dans une maison abandonnée, des soldats russes ont gravé dans le plâtre des murs les noms de leurs villes ou régions d’origine : Vladikavkaz, une ville du sud de la Russie, et Primorye, une région de la côte Pacifique, près du Japon.

« Ce n’est pas très agréable », raconte le soldat Maksim, membre de la 36e brigade de marine ukrainienne, qui a rassemblé un certain nombre de curiosités, dont ce qu’il pense être un talisman : plusieurs balles recouvertes de paillettes et attachées à un porte-clés.

« C’est notre terre, mais ce n’est pas très confortable d’être ici », dit le militaire qui, comme les autres soldats, n’a donné que son prénom et son grade pour des raisons de sécurité. « On ne se sent pas chez soi. »

Début juin, les troupes ukrainiennes, dont des milliers de soldats entraînés et équipés par les États-Unis et d’autres alliés occidentaux, ont lancé une contre-offensive visant à enfoncer un coin dans le sud de l’Ukraine occupé par la Russie. À l’affût, des milliers de soldats russes sont stationnés dans des kilomètres de tranchées et d’autres fortifications, au milieu de pièges à chars et de milliers et de milliers de mines.

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Char russe détruit et abandonné à Novodarivka

Les forces ukrainiennes attaquent au moins en trois endroits du front défensif russe. Au point d’avancée le plus éloigné, elles ont poussé vers le sud pour former un renflement d’environ 8 km à l’intérieur des lignes de défense.

Les commandants ukrainiens veulent atteindre la mer d’Azov, à environ 90 km de là, en traversant des plaines ouvertes qui offrent peu de couverture. S’ils y parviennent, ils diviseront le Sud occupé par la Russie en deux zones, coupant le pont terrestre entre la Russie et la péninsule de Crimée occupée et compromettant fortement la capacité de la Russie à réapprovisionner ses forces plus à l’ouest.

À l’abandon

Au fur et à mesure de leur avancée, les Ukrainiens se sont emparés des lignes de tranchées russes, des bunkers et des positions de tir dans des bâtiments abandonnés, mais sous les bombardements continus de l’artillerie, ils n’ont guère eu le temps d’éliminer les déchets et les vêtements abandonnés, les gilets pare-balles, les ponchos, la literie et les restes de rations militaires de leur ennemi.

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Les Russes sont partis et les Ukrainiens ont repris la tranchée, ce qui ne change rien pour ce chat.

Maksim, interviewé dans les tranchées, avait rassemblé un petit tas de curiosités laissées sur place, dont un sirop de baies fabriqué en Yakoutie, une région du nord de la Sibérie. En montrant la marque de thé russe « Pour la victoire ! », il dit de son ancien propriétaire russe : « Il n’a pas eu le temps de le boire. »

Prenons l’exemple du village de Novodarivka, situé dans les plaines de la région de Zaporijjia, dans le sud de l’Ukraine, au sud de la ville d’Orikhiv. Un mois après que les soldats de la 110e brigade de défense territoriale de l’Ukraine et d’autres unités l’ont repris, le village est toujours jonché de détritus des forces d’occupation.

L’une des tâches les plus pénibles a consisté à récupérer les dépouilles des soldats ukrainiens morts en défendant le village au cours des premiers mois de la guerre, alors que les forces russes avançaient rapidement.

Sept corps gisent dans les environs depuis avril 2022, a déclaré l’un des soldats, le lieutenant Volodymyr.

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Munitions et déchets laissés par les soldats russes dans une tranchée près de Novodarivka

Les Ukrainiens avaient parfois fait voler des drones au-dessus du village lorsqu’il était occupé, pour s’assurer que les Russes n’avaient pas déplacé les corps. Ils ont enfin pu les récupérer. « Ce n’étaient que des squelettes » qui devaient être identifiés par leur ADN, a déclaré Volodymyr.

Quant aux morts russes, a-t-il ajouté, les Ukrainiens ont récupéré ceux qui pouvaient être enlevés sans risque et recouvrent les autres d’un tas de terre pour tenter de limiter l’odeur. Néanmoins, une odeur nauséabonde flotte dans les tranchées et des essaims de mouches bourdonnent partout.

Petites avancées

La 110e brigade de défense territoriale, contrairement aux unités nouvellement entraînées et équipées déployées spécifiquement pour la contre-offensive, se bat dans le sud de l’Ukraine depuis plus d’un an.

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Terrés dans une tranchée dans la région de Zaporijjia, des membres de la 110e brigade de défense territoriale font voler des drones pour repérer les positions russes.

Un soldat de la 110e, qui s’est identifié comme le sergent Igor, a déclaré que son unité avançait en rampant jusqu’à la sécurité relative des lignes d’arbres entre les champs pour attaquer les tranchées russes, en se déplaçant par petits bonds de quelques dizaines ou centaines de mètres à la fois.

Ces avancées lentes sont préférables à des assauts tous azimuts, a expliqué le sergent.

« Nous devons avancer petit à petit, avec l’infanterie, et les briser de cette manière », a déclaré Igor. « Avancer en rampant, les combattre, puis creuser à nouveau. »

Il faut du temps pour que les soldats ukrainiens qui avancent, formés par les alliés occidentaux de Kyiv, apprennent à se battre sur les terres agricoles ouvertes.

Les recrues sont démoralisées lorsque leurs camarades sont blessés ou tués, explique Igor. « Leur moral est rapidement affecté », a-t-il déclaré.

« Les soldats apprendront, a-t-il ajouté. C’est compliqué. Et oui, les choses avancent lentement. Mais ce qui est important, c’est que ça avance. »

Cet article a d’abord été publié dans le New York Times.

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