(Kyiv) Lorsque Katerina Mischenko regarde par la fenêtre de son appartement du 14e étage, dans un quartier ancien et un peu délabré de Kyiv, elle ne remarque pas les graffitis sur les immeubles d’en face ni la vieille dame qui fouille dans une poubelle plus bas dans la rue.

Elle se concentre plutôt sur les enfants qui rient en jouant à la tague dans un petit parc – et sur la pensée qu’elle est en sécurité et libre.

Après avoir fui l’invasion sanglante de Marioupol par la Russie, une ville portuaire à quelque 740 km au sud-est de la capitale, l’adolescente a refait sa vie, partageant un logis avec sa sœur et son mari.

Le petit ascenseur s’arrête brusquement dans un bruit sourd, et lorsque la porte de l’appartement s’ouvre, son chaton affamé fait entendre une cacophonie de miaulements plaintifs. Alors qu’elle trouve un biberon pour nourrir « Sonyi », Mme Mischenko raconte ce qui s’est passé dans sa ville natale juste avant son départ.

« Quand la guerre a commencé avec l’invasion de la Russie, Marioupol a été la cible de tirs de Russes qui sont entrés dans la ville. C’était très effrayant. Il y avait des bombardements aériens tout autour de la ville. Le sol tremblait », raconte-t-elle par l’intermédiaire d’un interprète. Mme Mischenko dit que sa famille a vécu ce siège pendant deux mois : ils passaient des nuits sous terre, avec peu de nourriture, en cuisinant sur des feux de camp.

« Les Russes se moquaient de nous. Nous étions très contrariés parce que nous ne pouvions pas nous entraider. Les soldats russes disaient qu’il n’y avait plus de Kyiv, il ne restait que l’ouest de l’Ukraine. J’ai pris contact avec ma sœur, raconte-t-elle. Je n’avais pas peur d’eux. »

Elle et sa mère ont finalement réussi à quitter Marioupol, mais son père est resté – il travaillait avec les Russes. « Je ne lui parle plus », laisse-t-elle tomber.

Katerina Mischenko, aujourd’hui âgée de 18 ans, assure qu’elle n’a aucune raison de rentrer à Marioupol, même si la guerre devait se terminer. « Je voulais juste sortir de là. Je ne sais pas ce qui pourrait me retenir là-bas, a-t-elle déclaré.

PHOTO BILL GRAVELAND, LA PRESSE CANADIENNE

Katerina Mischenko et son chat, dans son appartement à Kyiv

J’ai toujours voulu vivre à Kyiv – mais je ne m’attendais pas à venir ici de cette façon.

Katerina Mischenko

Aider les soldats sur le front

À Irpin, en banlieue de Kyiv, la dévastation de l’occupation temporaire de la Russie se voit partout. Des centres commerciaux rasés, des maisons incendiées, un immeuble ravagé. Un panneau indique que la communauté est destinée « à la convalescence ». Dans un stationnement, une petite voiture n’a plus de vitres, le flanc criblé de balles.

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Une voiture criblée de balles à Irpin

Dima Niekazakov est heureux que sa sœur Julia, son mari et ses enfants aient fui dès la première semaine de l’invasion et qu’ils vivent maintenant à Toronto.

« Je peux voir par des photos et des vidéos que c’est un autre monde, d’immenses bâtiments, un rythme de vie intense. Ils n’ont pas encore compris comment ça marche », déclare-t-il en entrevue dans son petit commerce d’Irpin, qui vend du café et de la nourriture pour animaux. « Au moins, il n’y a pas d’attaques à la roquette [à Toronto] et ils ont deux jeunes enfants. Je pense qu’ils ont bien fait. »

M. Niekazakov, un graphiste de 36 ans, a passé les 15 derniers mois à donner du temps et de l’argent à des œuvres caritatives dans la région. Il assure qu’il ne partirait pas, même s’il y était autorisé. Au début de l’invasion, la plupart des hommes ukrainiens âgés de 18 à 60 ans se sont vu interdire de quitter le pays, au cas où ils seraient mobilisés.

« Je ne veux pas partir de toute façon : je suis resté ici pendant l’occupation. Nous avons déplacé les gens vers des endroits sûrs. Ça a été une grande aventure, raconte M. Niekazakov. Nous avons donné aux gens des génératrices, de l’eau, de l’aide humanitaire, de la nourriture et des vêtements. »

Il se concentre maintenant sur l’aide aux soldats des Forces armées ukrainiennes. Il s’inquiète des effets psychologiques à long terme de cette guerre, mais il voit un problème encore plus urgent en ce moment : s’assurer que les soldats ont des gilets pare-balles, des casques et des armes.

« J’ai acheté de ma poche environ cinq gilets pare-balles et deux ou trois casques, puis de la nourriture pour les soldats. Sur certains champs de bataille, ça fait une très grande différence », dit-il. M. Niekazakov raconte que les soldats issus de familles pauvres n’ont pas la possibilité d’obtenir de l’aide, et il est courant de voir des collectes de fonds pour leur acheter de l’équipement de protection et même des armes.

« Ils peuvent mourir chaque jour, mais ils n’ont pas peur, et pour leur témoigner tout mon respect, je veux en faire plus pour eux. »