(Karlivka) Svitlana Povar et son mari Semion avaient conclu un pacte : il irait sur le front tandis qu’elle s’occuperait de leur fils. Sa mort les armes à la main a tout changé, poussant cette veuve à s’engager dans l’armée ukrainienne.

À 42 ans, le monde de Svitlana a été chamboulé lorsqu’elle a appris, le jour de son anniversaire, la mort de son mari avec qui elle partageait sa vie depuis près de 20 ans.  

C’était en septembre dernier. Semion voulait que son fils puisse vivre dans un pays en paix et était parti combattre l’invasion russe.

Après cette tragique nouvelle, il était inenvisageable pour Svitlana de rester chez elle à attendre la fin de la guerre.

« J’ai passé cinq mois à supplier les bureaux d’enrôlement », raconte-t-elle à l’AFP à Kyiv, lors d’une permanence accordée par l’armée.

Selon elle, son mari aurait compris sa décision.

« Parfois je sens que quelqu’un veille sur moi. Je me dis qu’il est à mes côtés, qu’il m’aide », dit-elle au moment d’évoquer ses premiers jours sur le front près du point chaud de Bakhmout dans l’Est.

« Tout ira bien »

Selon la vice-ministre de la Défense Ganna Maliar, 42 000 femmes sont engagées dans l’armée dont 5000 combattent sur le front. Impossible de savoir toutefois combien ont rejoint les rangs après la mort de leur conjoint au combat.

PHOTO GENYA SAVILOV, AGENCE FRANCE-PRESSE

Svitlana Povar montre une photo de son mari mort au combat.

À l’évocation de son mari, Svitlana ne peut retenir ses larmes. Elle se souvient que lors de leur première balade en amoureux dans un parc, il s’était amusé à dire qu’ils se marieraient un jour.  

Elle dit vouloir finir le travail entamé par son mari.

« Nous devons mettre un terme » à cette guerre, dit-elle. « Pas nos enfants ».

Pourtant, elle n’a pas trouvé la force de dire à son fils qu’elle partait combattre dans la région de Donetsk, là même où Semion, qui servait comme tireur d’élite, a été tué.

Mais l’adolescent, qui étudie aujourd’hui en Pologne, a fini par le comprendre. Il essaye même d’évoquer avec sa mère l’éventualité qu’elle soit tuée au front.

« Quand il commence à en parler… Peut-être que j’ai tort, mais je coupe court et lui dis que tout ira bien », explique-t-elle.

Ievguénia Kolesnitchenko a elle décidé lors de l’enterrement de son mari qu’elle aiderait son pays en devenant infirmière de guerre.

Originaire d’Avdiïvka, ville située sur la ligne de front est, cette femme de 34 ans était en Pologne avec sa fille de 13 ans et ses jumeaux de 10 ans quand elle a appris la mort de son mari à Bakhmout en novembre.

« Quand il est mort, j’ai réalisé que quelqu’un devait reprendre le flambeau », dit-elle à l’AFP, même si elle sait que son mari n’aurait pas accepté qu’elle aille sur le front.

« Les gens qui ne combattent pas actuellement devraient petit à petit se préparer à faire la guerre. Tôt ou tard, la plupart d’entre nous seront engagés », estime-t-elle.

« Mon sacrifice »

« Je travaille avec une idée en tête : “que le plus possible de maris et de pères puissent rentrer chez eux” », explique-t-elle, disant « toujours garder à l’esprit qu’il y a quelqu’un qui attend » chez eux les soldats blessés qu’elle soigne.

La vie d’Ievguénia a radicalement changé en quelques mois.

Avant l’invasion russe, elle avait un atelier de broderie. Maintenant elle travaille aux côtés de deux autres veuves et en connaît d’autres qui se trouvent au front.

« Certaines ont été tellement touchées par la mort de leur conjoint qu’elles ont elles aussi rejoint l’armée d’une façon ou d’une autre », explique-t-elle à l’AFP.

Cette Ukrainienne est bien consciente des risques de son engagement : elle a déjà organisé la tutelle de son fils au cas où elle venait à mourir sur le front.

« Si vous prenez la situation d’un point de vue “émotionnel”, il est probable que personne n’est prêt à payer ce prix », lâche-t-elle à propos de la mort de son conjoint.

Avant d’ajouter, certaine que le futur de son pays dépend aussi de ses actions : « C’est ce pourquoi je suis ici maintenant. Je pourrais mourir aussi. Ce serait mon sacrifice ».