L’UNESCO vient de retirer un carnaval belge, jugé raciste, de sa prestigieuse liste du patrimoine immatériel de l’humanité. Victoire pour certains. Coup dur pour d’autres.

Racisme ? Mais où donc ?

À la Ducasse d’Ath, pardi ! Ce carnaval belge, qui a lieu chaque mois d’août dans la petite ville d’Ath, existe depuis au moins 600 ans. Il fait tellement partie du folklore qu’il a été inscrit en 2005 sur la liste du patrimoine immatériel de l’humanité. Un honneur franchement mérité, sauf que…

Sauf que quoi ?

La Ducasse met en vedette toutes sortes de personnages fantasmagoriques, dont ses célèbres géants. Mais on y trouve aussi un « sauvage » effrayant avec des plumes et des chaînes, incarné par un Blanc à la peau noircie. Choqué par ce blackface, le collectif antiraciste Bruxelles Panthères a demandé à l’UNESCO de retirer la fête de sa liste. C’était en 2019.

Et alors ?

Eh bien voilà, c’est fait. La semaine dernière, l’UNESCO a finalement accédé à la requête de Bruxelles Panthères. Sauf erreur, c’est la toute première fois qu’un évènement est retiré de la prestigieuse liste. Comparons cela à un officier qui serait dépouillé de ses décorations. La honte, quoi. « C’est un mot qu’on n’ose pas trop utiliser, mais quelque part, on peut parler de justice rendue », se félicite Mouhad Reghif, porte-parole de Bruxelles Panthères.

Décision un peu radicale, non ? Un ultimatum n’aurait-il pas suffi ?

C’est ce qu’affirment les autorités athoises. Elles disent avoir été prises de vitesse alors qu’elles étaient en train de réfléchir à la question. « C’est une décision un peu hâtive, confirme l’historien local Jean-Pierre Ducastelle, qui a porté le dossier pour l’inscription de la Ducasse à l’UNESCO, en 2005. Ce qui est regrettable, c’est qu’on n’ait pas eu le temps d’expliquer le contexte. » M. Ducastelle martèle que la Ducasse d’Ath n’est pas raciste et pense que l’UNESCO a surtout voulu « faire un exemple ».

C’est-à-dire ?

Que c’était difficile pour l’UNESCO de faire autrement, aujourd’hui, en 2022. Les perceptions ont changé. Le « mot commençant par un n » est passé par là. Les esprits se décolonisent. Nous sommes dans une période de prise de conscience. On réévalue les acquis. Des Blancs déguisés en Noirs, ce n’est juste plus possible. Surtout celui-là.

Pourquoi « surtout lui » ?

Créé en 1873, le « sauvage » de la Ducasse d’Ath n’est pas exactement lié à la colonisation du Congo par les Belges, puisque celle-ci ne commence qu’en 1880. Mais il incarne le monde primitif, par opposition au monde civilisé. Ses chaînes semblent indiquer qu’il n’a pas été dressé, qu’il est potentiellement dangereux. D’ailleurs, sa fonction est de faire peur aux enfants. Ceux qui ne pleurent pas sont considérés comme des grands. Tout cela n’est qu’une « satire », plaide M. Ducastelle, en insistant sur « l’humour » et le « symbole » de ce rite de passage. Bruxelles Panthères n’est pas exactement de cet avis. Pour Mouhad Reghif, il s’agit tout simplement d’une « activité raciste indéniable, inacceptable et déshumanisante pour des millions de gens ». Point barre.

Comment le contredire ? Et maintenant, que fera la Ville ?

Elle est en réflexion. La Ducasse reviendra sûrement l’an prochain, mais gardera-t-elle son « sauvage » ? Rien n’est moins sûr. Selon M. Ducastelle, « plus de 60 % » des Athois disent vouloir conserver le personnage. Mais ces consultations ont eu lieu avant le camouflet de l’UNESCO. Les avis ont peut-être changé. « Le blackface va disparaître. Dans les circonstances, ça devient indéfendable », reconnaît l’historien. Une fois cela fait, la Ville pourrait de nouveau soumettre son dossier pour être sur la liste du patrimoine.

Affaire réglée, donc ?

Ça dépend. Car il y a d’autres blackfaces en Belgique. On en trouve au carnaval de Malmedy ainsi qu’au carnaval de Lessines, où la traditionnelle « sortie des n… » a cependant été rebaptisée « sortie des Diables ». Il y a aussi le père Fouettard, compagnon noir de Saint-Nicholas, qui visite les écoles primaires pendant Noël. Sans parler du carnaval d’Alost, dont les chars allégoriques ont été qualifiés d’antisémites. Bref, Bruxelles Panthères a du pain sur la planche. À côté, notre Bonhomme Carnaval est vraiment un type sans histoires.

Sources : Notélé, Euronews, Le Soir, La Libre, Reuters, RTL, dhnet