(Kherson) « Avancez ! Montrez vos mains, sortez vos papiers ! » : sur une plage au bord du Dniepr à Kherson, dans le sud de l’Ukraine, des policiers armés de kalachnikov mettent en joue deux hommes qui viennent d’accoster avec leur bateau.

La scène se déroule sur la rive droite du fleuve, en aval de la ville libérée le 11 novembre par les soldats de Kyiv, après huit mois d’occupation par les forces russes, désormais repliées sur la rive gauche.

Elle symbolise le climat de suspicion qui règne à Kherson, où les autorités craignent toujours la présence de personnes qui auraient collaboré, voire collaborent toujours, avec les Russes, et cherchent à les identifier.

Les deux hommes venaient d’évacuer l’une des îles qui bordent la rive orientale, une zone grise où les forces ukrainiennes sont absentes et qui est contrôlée de fait par Moscou, même si les soldats russes y sont invisibles.

« Les évacuations ne sont autorisées qu’au port (de Kherson). Ici, c’est illégal », explique à l’AFP l’un des policiers.

Au port, « il y a des responsables de ces “mesures de stabilisation” qui vérifient si les gens étaient impliqués ou non » dans la collaboration, poursuit-il.

Mais le contrôle tourne court : deux roquettes s’abattent sur un îlot à 200 mètres en face de la plage, dégageant un panache de fumée noire.

Le Dniepr est devenu la nouvelle ligne de front.

Les deux hommes et les policiers s’éloignent en courant pour se mettre à l’abri. L’interrogatoire reprendra une fois le calme revenu.

Forte présence policière

Après l’euphorie de la libération, Kherson vit aujourd’hui sous un contrôle serré de la police, très présente et visible.

Points de filtrage aux sorties de la ville, patrouilles dans les rues : les hommes en bleu vérifient les papiers d’identité, posent des questions, fouillent les coffres des voitures, pour débusquer les « collaborateurs ».

Ces gens ont séjourné ici pendant plus de huit mois. Ils travaillaient pour le régime russe et maintenant nous avons des informations et des documents sur chacun d’entre eux. Notre police sait tout d’eux et chacun d’eux sera puni.

Iaroslav Ianouchevitch, gouverneur de la région de Kherson

À un grand carrefour au bout d’un pont qui mène à la zone industrielle et portuaire, un vieil homme s’approche d’un des policiers qui filtrent voitures et passants. Il lui demande où il peut aller remplir d’eau les deux bonbonnes qu’il tient à la main.

« Vous dites que vous êtes un habitant d’ici et vous ne savez pas où se trouve le point d’eau ? », interroge, suspicieux, le policier. L’homme devra montrer une photocopie usée sortie de sa poche pour justifier de son identité.

Les contrôles se font aussi à la gare, où quelques habitants évacuent encore la ville par un train quotidien.

Dans une salle à part, cinq policiers sont assis devant autant de petites tables et interrogent chacun un évacué assis en face, a constaté l’AFP.  

Dénoncer les « traitres »

PHOTO GENYA SAVILOV, AGENCE FRANCE-PRESSE

Un graffiti indique : « La première règle du club de Kherson : Kherson est Ukrainienne, toujours et sans compromis. »

Sur certaines avenues de la ville, les grandes affiches de propagande de l’occupant qui vantaient la Russie ont disparu au profit d’autres à la gloire de la libération de Kherson.

Mais sont apparues aussi d’autres affiches invitant les habitants à dénoncer ceux qui ont collaboré avec les forces russes.

« Donnez des informations sur les traîtres ici », indique l’une d’elles en renvoyant vers le QR code d’une application ou un numéro de téléphone.

« Cela nous aide à les identifier, à savoir s’ils sont sur le territoire que nous contrôlons », justifie le gouverneur de la région.

« La plupart des informations sont reçues de la population locale au cours de simples conversations […] Nous analysons également les comptes sur les réseaux sociaux et continuons à surveiller internet », explique à l’AFP Andriï Kovanyi, chef des relations publiques de la police de la région de Kherson.

Après la police, les services de sécurité ukrainiens (SBU) prennent le relais des enquêtes.

Selon le vice-ministre de l’Intérieur, Ievguen Yenine, plus de 130 personnes ont déjà été arrêtées pour collaboration dans la région de Kherson.

Interrogés devant l’un des panneaux, des habitants se montraient plutôt favorables au principe de dénonciation.

Pavel, 40 ans, qui ne souhaite pas donner son nom, estime ainsi « toujours bien d’aider à trouver un collaborateur ou un traître. Nous devons aider nos forces armées à attraper ceux qui ont travaillé pour la Russie ».

Depuis la libération de la ville, des frappes russes visent des infrastructures énergétiques, mais aussi des habitations, et des civils ont été tués.

« Nos maisons sont également bombardées en ce moment. Et je pense que ce sont des collaborateurs qui aident (les forces russes) à cibler nos maisons », assure de son côté Iryna, 35 ans.

En revanche, Vyacheslav croit savoir « que tous les collaborateurs se sont déjà enfuis vers l’autre côté » du Dniepr.

« Ici, nous sommes tous des patriotes » ukrainiens, lance cet homme âgé de 47 ans.