L’Autriche est secouée par la fin tragique d’une médecin de 36 ans bien en vue dans la lutte contre la pandémie de COVID-19 qui a mis fin à ses jours dans sa clinique il y a une semaine, après avoir été victime d’une intense campagne de harcèlement.

Lisa-Maria Kellermayr s’était plainte à plusieurs reprises publiquement, tant sur Twitter que dans les médias locaux, de recevoir des menaces « des milieux opposés aux mesures anti-COVID-19 et à la vaccination » sans recevoir d’aide.

PHOTO CITYFOTO, TIRÉE DU SITE FALTER.AT

Lisa-Maria Kellermayr

« Ce qui est tragique dans son cas est qu’elle a demandé à la police de la protéger, mais rien n’a vraiment été fait. Ils lui ont même reproché à plusieurs reprises de vouloir se retrouver sous les projecteurs », souligne Teresa Eder, politologue d’origine autrichienne.

Les difficultés de la médecin, relate Mme Eder, ont commencé véritablement en novembre lorsqu’elle a accusé en ligne des opposants aux mesures sanitaires d’avoir bloqué l’accès à un établissement de santé de sa ville natale lors d’une manifestation.

Sa sortie a « mis le feu aux poudres » et entraîné une cascade de courriels hostiles qui s’est poursuivie pendant des mois.

La médecin a notamment écrit au printemps, en décrivant ses tâches, que la réception d’un nouveau lot « d’insultes, d’injures et de menaces » faisait partie de son quotidien.

Elle s’en est prise directement à ses détracteurs en ligne en relevant que les praticiens du milieu de la santé ne devraient pas avoir à subir de tels abus.

Des messages reproduits sur Twitter indiquent notamment qu’un internaute usant d’un pseudonyme a promis qu’elle serait condamnée par un tribunal populaire et exécutée. Un autre projetait de la massacrer en même temps que le personnel de sa clinique, située en Haute-Autriche.

Craignant le pire, elle s’était adjoint les services d’un agent de sécurité privé pour filtrer les allées et venues et se prémunir contre d’éventuels agresseurs.

Fermeture de sa clinique

Dans une longue série de tweets où elle a annoncé fin juin sa décision de fermer la clinique, la praticienne a annoncé qu’elle avait dépensé plus de 100 000 euros pour assurer la protection des lieux et que ce coût excédait largement les bénéfices pouvant être générés par sa pratique.

Mon cas est connu de l’ensemble des partis politiques au Parlement. Et ce, depuis des mois. J’ai vraiment fait tout ce qu’un être humain peut faire pour obtenir de l’aide.

Lisa-Maria Kellermayr

Son corps sans vie a été trouvé dans l’établissement un mois plus tard. La police a conclu à un suicide après avoir trouvé des notes à cet égard sur place.

Une autopsie a été pratiquée mercredi à la demande de la famille, sans révéler d’anomalie susceptible de suggérer qu’elle ait pu être tuée.

Appui posthume

Des manifestations ont eu lieu en début de semaine en appui à la médecin, qui a aussi reçu pour l’occasion l’appui posthume de plusieurs élus.

PHOTO JOE KLAMAR, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Johannes Rauch, ministre de la Santé de l’Autriche

Le ministre de la Santé, Johannes Rauch, a déclaré qu’il était « profondément choqué » par la mort de la médecin et a souligné que la « haine en ligne » devait cesser.

Les médias se sont enflammés sur le sujet en remettant en question le travail des autorités policières, qui disent avoir fait « tout ce qui était possible » pour la protéger.

Extrême droite

Les forces de l’ordre s’intéresseraient actuellement à deux suspects liés à l’extrême droite qui sont situés en Allemagne, mais aucune arrestation n’a eu lieu à ce jour.

Le pays voisin de l’Autriche a vu apparaître il y a deux ans un mouvement organisé contre les mesures sanitaires, baptisé Querdenker, qui a débuté dans la région de Stuttgart avant de s’étendre.

Les militants du mouvement, qui prétendent penser « hors des sentiers battus », ont contesté l’existence même du virus et rejettent les mesures sanitaires retenues par le gouvernement, dont la vaccination, note Mme Eder, qui a relevé des liens « évidents » au sein de l’organisation avec l’extrême droite.

Le DPeter Bobbert, président de l’Association médicale de Berlin, a indiqué par courriel à La Presse que le mouvement Querdenker produisait de la propagande haineuse en ligne et avait contribué à la détérioration marquée du climat de travail subie par de nombreux médecins allemands depuis le début de la pandémie.

L’Autriche a connu une détérioration semblable, relèvent plusieurs analystes locaux, qui s’indignent de voir que la mort de Lisa-Maria Kellermayr suscite des commentaires enthousiastes sur les réseaux sociaux dans des groupes proches de l’extrême droite.

La rédactrice en chef du quotidien viennois Der Standard, Colette M. Schmidt, a dénoncé la situation dans un texte cinglant où elle relève que « la haine des femmes, l’hostilité envers la science et la lâcheté » de l’État ont poussé la praticienne à bout.