(Kramatorsk) L’hôpital civil de Kramatorsk est l’un des derniers toujours en activité dans le Donbass. On y soigne des blessés, civils ou militaires, du camp ami comme du camp ennemi…

Depuis son bureau aux fenêtres renforcées par des panneaux en contreplaqué, au premier étage de l’hôpital civil de Kramatorsk, Alexeï Viktorovitch se prépare au pire. Dans un coin de son bureau, un gilet pare-balles et un casque patientent sur une pile de cartons. Au cas où. « Si ça devient nécessaire, nous avons installé une salle d’opération avec un générateur électrique et des réserves d’eau au sous-sol », explique le directeur général de l’hôpital.

L’un des derniers hôpitaux d’envergure du Donbass pourrait-il devenir une cible de l’armée russe ? Alexeï Viktorovitch tape du poing sur son bureau en bois. S’il venait à être évacué, le prochain hôpital se situe à plus de trois heures de route, dans la grande ville de Dnipro.

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Une équipe médicale effectue une opération sur un soldat ukrainien à l’hôpital de Kramatorsk, en avril dernier.

À Kramatrosk, cette ville industrielle devenue la capitale administrative de facto de la province de Donetsk, le cri des sirènes et le vacarme des bombardements, à quelques dizaines de kilomètres, font partie du paysage quotidien. Pas besoin d’être un expert militaire pour comprendre que les combats se rapprochent. Au cours des derniers jours, l’armée russe est entrée dans la ville de Sievierodonetsk, à une centaine de kilomètres à l’est, puis dans celle de Lyman, à 40 km, qui la place à distance de feu de Sloviansk, ville voisine de Kramatorsk.

Le 8 avril dernier, déjà, deux missiles russes ont frappé la gare de Kramatorsk, faisant une cinquantaine de victimes. « C’était l’enfer, se souvient le directeur de l’hôpital. Une cinquantaine de personnes sont arrivées ici en l’espace de 30 minutes. Il y avait des cris, du sang, des gens démembrés. »

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Un soldat ukrainien est transporté sur une civière à l’hôpital de Kramatorsk, en avril dernier.

Chaque jour, entre 10 et 60 personnes, civiles et militaires, sont transportées à l’hôpital depuis le front et les villages aux alentours. Dans la plupart des cas, il s’agit de blessures causées par des bombardements ou des mines. Les interventions les plus lourdes, comme les fractures multiples ou les opérations du cerveau, ne peuvent pas être traitées sur place. Les patients doivent alors être transportés jusqu’à Dnipro, à 250 km à l’ouest.

Secourir l’ennemi

Quelquefois, c’est un ennemi qu’il faut soigner. Il y a quelques semaines, un militaire russe originaire de Krasnoïarsk, en Sibérie, a été pris en charge pendant quelques jours. « Il répétait sans cesse qu’il regrettait ce qui se passe en Ukraine, qu’il ne voulait pas que nos villes, nos habitants soient pris pour cibles. Ce ne sont que des mensonges, il essayait juste de nous dire ce qu’on voulait entendre », résume le docteur Alexeï Viktorovitch, qui dit ne plus être capable d’éprouver le moindre sentiment depuis le début de la guerre, si ce n’est de la haine.

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Alexeï Viktorovitch, directeur général de l’hôpital de Kramatorsk

Quand un Russe arrive chez nous, on fait ce qu’on doit faire pour qu’il reste en vie, mais il ne repart pas d’ici avec des embrassades.

Alexeï Viktorovitch, directeur général de l’hôpital de Kramatorsk

Anna Alexandrovna, la soixantaine, a été évacuée du village de Drobycheve, à quelques kilomètres de Lyman. Elle est blessée aux jambes et aux bras à la suite de l’explosion d’une mine. « Les Russes ont détruit ma maison, il ne reste plus rien. Une amie de ma fille m’a proposé de la rejoindre dans la région de Kyiv, mais je ne sais pas. Je n’ai pas d’argent, je ne suis jamais sortie de la région de Donetsk, ça me fait peur. J’aimerais qu’il y ait de l’espoir, mais je ne suis pas sûre qu’il y en ait. »

Dans la chambre suivante, Igor, 49 ans, sans emploi, est arrivé il y a quelques jours. Un missile a touché sa maison pendant qu’il prenait le thé avec un voisin dans son jardin. Une partie du mur s’est effondrée sur sa tête. D’ici cinq jours, Igor devrait sortir de l’hôpital. Il souhaite retourner à Lyman, qu’il décrit pourtant comme un enfer. « Il n’y a que la mort, le feu, même le maire est parti de la ville. Mais ma mère est toujours là-bas, elle a 74 ans. Mon père y est enterré. C’est ma terre. Je n’ai besoin de rien d’autre, pas même d’une maison. »

Dans les couloirs mal éclairés de l’hôpital, le directeur se réjouit de l’aide occidentale qui permet de continuer à assurer les besoins des patients. Il doit pourtant composer avec une équipe largement réduite. Sur les 460 soignants employés avant la guerre, seuls 110 sont toujours en poste pour les 400 lits que compte l’hôpital.

« Tout le personnel est sur le pied de guerre. On peut aussi compter sur le renfort de médecins venus de Kyiv qui viennent épauler les soignants pour quelques jours ou quelques semaines. Ils ont bien compris que leur travail est essentiel. Cet hôpital doit continuer de fonctionner pour sauver des vies », ajoute le directeur.