Leurs photos ont fait le tour de la planète. C’était mercredi dernier et elles émergeaient toutes deux de la maternité de Marioupol, cette ville ukrainienne assiégée par les forces russes.

L’une était transportée sur une civière, au milieu des ruines encore fumantes, elle avait la main sur son ventre gonflé et maculé de sang. L’autre se tenait debout, l’air hagard, du sang sur le visage, son pyjama à pois tendu sur son abdomen.

Transportée vers le dernier hôpital encore fonctionnel dans cette ville bordant la mer d’Azov, pilonnée depuis plus de deux semaines, la première de ces deux femmes a subi une césarienne, mais ni elle ni son bébé n’ont survécu.

Le chirurgien qui l’a opérée, Timur Marin, a confié à l’agence Associated Press (AP) que le bombardement l’avait laissée avec un bassin écrasé et une hanche démise. Le bébé était mort à la naissance.

Selon le témoignage de Timur Marin, cité par l’AP, quand elle s’en est rendu compte, la femme a crié « Tuez-moi ! » Sa propre mort a suivi de peu.

L’identité de cette victime de l’assaut russe contre Marioupol n’est pas connue. Tout ce qu’on sait, c’est que des proches ont récupéré son corps à l’hôpital et qu’il n’aboutira donc pas dans une fosse commune.

PHOTO MSTYSLAV CHERNOV, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Mariana Vishegirskaïa a donné naissance jeudi à une petite fille.

L’autre femme a eu plus de chance. Elle a donné naissance jeudi dernier à une petite fille prénommée Veronika. En temps normal, Mariana Vishegirskaïa agit comme influenceuse en produits de beauté et compte 100 000 abonnés sur Instagram.

Sa dernière entrée, datant d’il y a deux semaines, la montre en train d’afficher joyeusement des vêtements pour bébés naissants sur son ventre, se demandant si elle attendait une fille ou un garçon.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM GIXIE_BEAUTY

Mariana Vishegirskaïa agit d’ordinaire comme influenceuse en produits de beauté.

La réponse à sa question est arrivée tragiquement, sous les bombes.

Peur d’accoucher

L’histoire de ces deux femmes et de la maternité de Marioupol illustre la situation précaire dans laquelle se trouvent les infrastructures médicales en Ukraine, après trois semaines d’offensive russe. Et la condition particulièrement périlleuse des femmes enceintes.

Des magazines féminins comme Elle Ukraine publient des articles qui auraient été inimaginables il y a seulement trois semaines. Dans la version ukrainienne de Marie Claire, par exemple, un article explique comment accoucher seule chez soi ou dans un abri, sans aide médicale. « Rassemblez des serviettes et des draps et recouvrez l’endroit où vous prévoyez accoucher », conseille l’auteur.

« En ce moment, les femmes enceintes ne peuvent pas se sentir en sécurité à l’hôpital », a confié Iryna Tatarenko, rédactrice en chef de Marie Claire Ukraine, au Daily Mail.

Avec l’étau militaire qui se resserre de plus en plus sur Kyiv, beaucoup de femmes préfèrent chercher un hôpital où accoucher en sécurité, le plus loin possible d’une zone assiégée, signale Christopher Stokes, responsable des opérations d’urgence pour Médecins sans frontière en Ukraine.

Les gens entendent des tirs continus et cherchent un hôpital le plus loin possible de la ligne de front.

Christopher Stokes, responsable des opérations d’urgence pour Médecins sans frontière en Ukraine

Mais en s’éloignant des grands centres, ces femmes risquent de se retrouver dans des hôpitaux mal équipés, souffrant de problèmes d’approvisionnement et de pénuries de personnel.

Car les entrepôts d’équipement médical et de médicaments de la capitale sont de plus en plus difficiles d’accès, et même à Kyiv, les stocks commencent à manquer, signale Christopher Stokes.

Avec l’insécurité et les pharmacies qui se vident, le risque qu’un accouchement avec des complications tourne mal pour l’enfant ou la mère est d’autant plus élevé, explique-t-il.

Hôpitaux à risque

Les hôpitaux comme les autres infrastructures civiles sont particulièrement exposés aux bombardements. L’utilisation d’armes lourdes avec des charges explosives importantes augmente le risque de frapper des infrastructures civiles, note Christopher Stokes.

Au cours du week-end, ce dernier s’est rendu à Zhitomir, une ville située à 130 kilomètres à l’ouest de Kyiv, qui a été relativement épargnée par la guerre, du moins jusqu’à maintenant. Des frappes russes y ont néanmoins anéanti une école, et un hôpital de la région a subi des dommages lors d’un bombardement.

Même avant que les bombes pleuvent sur la maternité de Marioupol, les femmes commençaient à chercher des hôpitaux plus sécuritaires que l’hôpital de leur secteur pour accoucher, dit Christopher Stokes.

Les images de mercredi dernier ont exacerbé la peur de devoir accoucher sous les bombes.

Selon Christopher Stokes, Zhitomir, une ville de 266 000 habitants, se prépare pour un possible assaut russe.

La ville se ‟bunkérise”, il y a des sacs de sable partout, les gens se croient dans la ligne de mire des Russes parce que la ville est proche de Kyiv et qu’elle abrite une base logistique ferroviaire.

Christopher Stokes, responsable des opérations d’urgence pour Médecins sans frontière en Ukraine

Comme d’autres, les femmes enceintes de Zhitomir se demandent où elles pourront accoucher en toute sécurité. En même temps, dit Christopher Stokes, « les Ukrainiens ont de plus en plus l’impression qu’il n’y a plus aucun endroit à l’abri des bombes ».

En savoir plus
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    Taux de fécondité en Ukraine en 2019. Ce taux, qui représente le nombre moyen d’enfants qu’ont les femmes d’un pays au cours de leur vie, entre 15 et 50 ans, était la même année de 1,47 au Canada.
    SOURCES : BANQUE MONDIALE ET PERSPECTIVE MONDE DE L’UNIVERSITÉ DE SHERBROOKE