Des survivants en larmes à côté des coqs et des poules qui se frayent un chemin à travers les décombres, les cendres et la fumée. C’est la dernière image que Diana Berg garde de Marioupol.

Déjà trois jours ont passé depuis qu’elle s’est sauvée de cette ville du sud de l’Ukraine où elle habite depuis huit ans.

Elle s’est enfuie au péril de sa vie. Diana Berg craignait les tirs ennemis à chaque instant. Les voitures s’entassaient sur la route comme des sardines. Elle suait à grosses gouttes en regardant son mari, les mains crispées sur le volant. « Je l’ai regardé et j’ai dit : “Tu sais quoi, si on meurt, on meurt.” » Le fait qu’on ait pu s’enfuir, c’est un miracle. »

PHOTO FOURNIE PAR DIANA BERG

Diana Berg

Le couple est parvenu à trouver refuge à Dnipro, à trois heures de route.

D’autres n’ont pas eu cette chance, précise-t-elle d’office.

Des militaires russes surveillent les frontières de cette ville de 441 000 habitants.

La population était prise au piège dimanche dans le port assiégé de Marioupol, où une deuxième tentative d’évacuation humanitaire a échoué. Selon le maire Vadim Boïtchenko, il s’agit d’un véritable « blocus humanitaire ». Le président russe Vladimir Poutine a mis l’échec des évacuations sur le compte des « nationalistes ukrainiens » qui, selon lui, ont empêché celle prévue samedi.

PHOTO FOURNIE PAR DIANA BERG

Rue de Marioupol jonchée de débris

« C’est un génocide. La vraie cruauté est à Marioupol », explique Diana. La professeure de théâtre peine à croire qu’elle a quitté Marioupol. Le couple y a laissé ses parents, ses amis, toutes ses possessions et une partie de son âme, dit-elle en pleurs.

Peu avant son départ, l’eau potable se faisait déjà rare. Des gens commençaient à recueillir l’eau de pluie des tuyaux. Les rares passants regardaient le ciel avec effroi et appréhension. Car depuis quelques jours, c’est la mort qui tombe du ciel.

« La Ville apporte de l’eau potable dans les quartiers, mais il n’y a pas d’approvisionnement en eau. Les gens font la file d’attente pour de l’eau », sanglote Diana. Il n’y a désormais plus de connexion internet, de chauffage et d’électricité. Le carburant et les médicaments s’épuisent.

« Nous n’avons pas de nouvelles de ma mère. Je ne sais pas si elle est vivante. »

Désormais, plus personne ne rentre à Marioupol ou n’en sort, résume-t-elle.

Odessa se prépare à une attaque

À Odessa, on se prépare au pire. C’est le calme avant la tempête, lance Katya Sniatovskaya. « Mais au moins, on se prépare ! »

Les troupes russes se préparent à bombarder Odessa, une ville stratégique et le principal port d’Ukraine, située sur les bords de la mer Noire, a averti dimanche le président ukrainien Volodymyr Zelensky.

« Ce sera un crime militaire. Ce sera un crime historique », a déclaré le président dans un message vidéo.

« On s’attend à une attaque d’une minute à l’autre », explique calmement Katya. La maison de ses parents dispose d’un sous-sol qui servira d’abri à toute la famille.

La scénariste de 31 ans a dévalisé les commerces pour être certaine de ne manquer de rien. En allant chercher de la nourriture pour chats, elle est tombée sur des gens qui préparaient des cocktails Molotov. Après un moment à observer cette scène inédite, le son d’une sirène l’a rappelée à l’ordre.

« On ne va pas dormir. C’est très difficile de vivre dans ces conditions. »

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE KATYA SNIATOVSKAYA

Katya Sniatovskaya

Pourquoi ne pas avoir pris la route vers la Pologne ou l’Allemagne, comme lui ont suggéré ses parents ?

« Mon mari Vlad doit rester. On vient de se marier, mais on s’est connus à l’adolescence. Je ne veux pas être séparée de l’homme de ma vie », dit-elle dans un anglais timide.

L’espoir de voir son pays sortir victorieux demeure. La Russie dispose d’une puissante armée, analyse-t-elle. Mais l’Ukraine lui résiste avec peu de moyens. Mais elle craint tout de même un long conflit.

C’est dur de voir des politiciens s’asseoir tranquillement à la table des négociations pendant que nous, on meurt. Le monde entier doit arrêter Poutine. Il ne va pas s’arrêter à nous. On est juste les premiers.

Katya Sniatovskaya

Son amie Olga Grinko se préparait au pire dimanche soir. Beaucoup de ses proches ont fui vers la Moldavie ou la Roumanie pour protéger leurs enfants. Ceux qui voulaient quitter Odessa l’ont fait après l’avertissement du président Zelensky, même si beaucoup craignent de croiser des soldats russes sur leur passage, croit-elle.

Plus de 1,5 million de réfugiés venant d’Ukraine ont traversé vers les pays voisins en 10 jours. Il s’agit de la crise des réfugiés qui connaît la croissance la plus rapide en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale, estime l’ONU. L’organisation a confirmé la mort de 351 civils et plus de 700 blessés, un bilan qui est « sans doute bien plus élevé car les vérifications sont en cours ».

PHOTO IGOR TKACHENKO, REUTERS

Des gens préparent des sacs de sable pour faire des barricades en prévision d’une attaque, à Odessa

« Moi, je ne veux pas me séparer de ma famille, dit Olga Grinko. Je sais que de l’extérieur, on a l’air fous de rester. Mais qui va résister si on part ? Quel genre de peuple on va être si tout le monde s’en va ? »

La traductrice de 39 ans s’est aménagé un campement de fortune dans le stationnement souterrain de son immeuble. Elle a fait le test, chronomètre à la main : de son appartement, elle se rend dans son refuge en une minute.

Elle veut rester forte, mais avoue être rongée par l’anxiété.

J’ai peur de mourir. J’ai peur de voir des gens mourir. J’ai appelé tous les gens que j’aime aujourd’hui pour leur dire que je les aime.

Olga Grinko

Kyiv encerclé

À des centaines de kilomètres de Kyiv, la fatigue commence à rattraper Olga Shurova. La musicienne et professeure de français a quitté Irpine, une banlieue, il y a une semaine. Une judicieuse décision.

La prise de Kyiv semble imminente, pense-t-elle. D’intenses combats ont eu lieu dans la périphérie de la capitale, selon l’administration régionale ukrainienne, notamment près de la route menant vers Jytomyr (150 km à l’ouest de Kyiv), ainsi qu’à Tcherniguiv (150 km au nord de la capitale), pilonnée depuis plusieurs jours par l’aviation russe.

PHOTO EMILIO MORENATTI, ASSOCIATED PRESS

De la fumée s’élève au-dessus d’Irpine, en banlieue de Kyiv, après un bombardement dimanche.

À Irpine, de nombreux bâtiments ont été touchés et un char est entré dans la ville, ont rapporté des témoins à l’AFP.

Olga, ses parents et son mari accueillaient dimanche d’autres Ukrainiens qui, comme eux, ont quitté leur logis pour des sous-sols hermétiques loin des bombes, de l’artillerie et des dépouilles qui jonchent les rues. « Nous sommes des réfugiés qui aident des réfugiés ! Nous aidons actuellement les gens à trouver un logement pour la nuit, pour ceux qui sont en route vers l’Ouest. »

Au début, Olga se sentait pimpante et pleine d’espoir. Mais pendant que ses amis meurent et que les édifices qui ont meublé son quotidien sont détruits, la colère et l’impuissance s’installent.

Au bout du fil, sa voix s’assombrit.

« Nous sommes fatigués. On a le soutien du monde entier sur les réseaux sociaux, mais pas celui de l’OTAN, qui refuse de s’occuper du ciel au-dessus de nos têtes. »

Kherson sous occupation

Oleksandr Moudryi n’aurait jamais cru voir Kherson sous occupation russe. C’était une crainte imaginaire de militants alarmistes. Mais il doit se rendre à l’évidence : les « soldats de Poutine », dit-il, sont à chaque intersection de cette ville du sud de l’Ukraine. Le bruit des missiles a laissé place au vacarme des slogans antirusses, avec la radio de Moscou en bruit de fond.

PHOTO FOURNIE PAR OLEKSANDR MOUDRYI

Oleksandr Moudryi et sa femme Olga Moudryi

« Les attaques, c’était terrifiant. Ils nous bombardaient sans penser aux enfants. Maintenant, c’est différent. On est surveillés. »

Personne ne peut sortir dans la rue entre 20 h et 6 h. L’armée bloque l’accès aux médicaments et aux vivres alors que les tablettes des pharmacies sont vides, selon Oleksandr.

Ils nous offrent ensuite de l’aide. Mais tout le monde refuse. Ils nous offrent ce qu’ils nous ont enlevé.

Oleksandr Moudryi

Une solide résistance s’est façonnée dans ce climat hostile. Depuis deux jours, des milliers de citoyens se réunissent au centre de la ville pour « narguer les Russes », raconte l’homme dans la mi-trentaine. « On leur dit de retourner à la maison. Qu’on ne veut pas de Poutine. J’ignore comment ils pensent qu’ils vont nous assimiler. »

Avec l’Agence France-Presse