Après 10 jours d’un conflit qui s’enlise, une « situation humanitaire catastrophique » règne à Marioupol, ville portuaire du sud de l’Ukraine assiégée par l’armée russe. La reprise des pourparlers entre la Russie et l’Ukraine est prévue lundi, mais les négociations semblent déjà vouées à l’échec, estiment certains experts.

Accès limité à l’eau potable, pas d’électricité ni de chauffage : la situation à Marioupol est une catastrophe humanitaire, a déclaré à l’AFP Laurent Ligozat, coordinateur d’urgence de l’ONG Médecins sans frontières en Ukraine.

« Il est impératif que ce corridor humanitaire, qui aurait pu voir le jour [samedi], mais qui ne s’est pas vraiment mis en place en raison du non-respect du cessez-le-feu, se mette très rapidement en place pour permettre aux populations civiles, aux femmes et aux enfants de sortir de cette ville », a-t-il dit.

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Fumée s’élevant d’immeubles de Marioupol après des frappes russes, vendredi dernier

L’évacuation avait été reportée après l’annonce d’un cessez-le-feu. Mais l’offensive russe a repris dans la journée de samedi. Moscou accuse la partie ukrainienne d’avoir refusé de prolonger l’arrêt temporaire des combats et d’avoir empêché les civils de quitter Marioupol.

Les forces russes se rapprochent de Kyiv, malgré la résistance ukrainienne. Plusieurs immeubles résidentiels ont été touchés par les bombardements, notamment à Tcherniguiv, à 150 km au nord de la capitale.

Le président ukrainien a annoncé samedi que les forces ukrainiennes avaient lancé une contre-attaque autour de Kharkiv. La ville du nord-est est aux prises avec plusieurs attaques russes depuis le début du conflit.

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Centre sportif détruit par un bombardement à Kharkiv, deuxième ville en importance de l’Ukraine

Dialogue voué à l’échec ?

Une troisième ronde de pourparlers entre la Russie et l’Ukraine est prévue lundi, alors que les efforts diplomatiques se multiplient à l’international.

Les deux premières rondes de pourparlers n’ont pas abouti à un arrêt des combats, mais elles ont permis la création de couloirs humanitaires. « Or, on voit bien ce qui s’est passé à Marioupol [samedi]. Ça n’a pas du tout fonctionné », résume Vladyslav Lanovoy, professeur adjoint en droit international public à l’Université Laval.

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Un soldat des forces ukrainiennes attend dans un abri que cessent les bombardements dans la région de Lougansk.

« Il n’y a pas grand espoir de progrès pour les négociations de lundi », tranche Aurélie Campana, professeure titulaire de science politique à l’Université Laval.

« Le seul micro-espoir, c’est que les corridors humanitaires puissent être renégociés », ajoute l’experte. Le respect de couloirs humanitaires permettrait d’évacuer les civils et de réduire les pertes humaines.

Toutefois, rien n’indique que Vladimir Poutine soit prêt à faire des compromis.

À la table des négociations, l’entourage de Poutine demeure ultranationaliste, partisan de l’annexion de la Crimée.

Quand on envoie des gens de ce profil pour négocier, on sait déjà qu’il n’y aura pas de compromis.

Aurélie Campana, professeure titulaire de science politique à l’Université Laval

Le président russe n’envisage le dialogue qu’une fois toutes ses exigences acceptées. Il est notamment question d’un statut neutre et non nucléaire pour l’Ukraine et de sa démilitarisation obligatoire, résume l’experte.

Selon M. Lanovoy, Poutine adopte une rhétorique intransigeante dénuée de véritable intention de négocier. « Il ne veut pas de pourparlers. Il impose ses conditions. »

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Des membres des troupes prorusses conduisent un char en périphérie de la ville de Donetsk, contrôlée par les séparatistes.

Tôt dimanche, Vladimir Poutine a par ailleurs averti que l’Ukraine pourrait perdre son « statut d’État » si elle continuait à refuser de se soumettre aux exigences russes.

Moscou réclame notamment un statut « neutre et non nucléaire » pour l’Ukraine et sa démilitarisation, ce que Kyiv juge inacceptable.

Mise en garde de Poutine

Vladimir Poutine s’est montré intraitable : quiconque tente d’imposer une zone d’exclusion aérienne en Ukraine sera considéré comme partie prenante du conflit.

Pour ne pas provoquer d’affrontement direct avec la Russie, l’OTAN avait refusé une requête en ce sens formulée par le président ukrainien Volodymyr Zelensky vendredi.

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À Kyiv, samedi, un panneau d’affichage exhortait l’OTAN à « fermer le ciel ». « Aujourd’hui, les Ukrainiens ne demandent pas, ils implorent », pouvait-on y lire.

Une décision prévisible, selon Andrea Charron, directrice du Centre d’études sur la défense et la sécurité de l’Université du Manitoba.

Si un membre ou un allié de l’OTAN s’en prenait à la Russie, le Kremlin interpréterait une telle offensive comme une attaque de l’OTAN envers le pays.

Une telle opération est extrêmement complexe. Elle est impraticable si l’on n’attaque pas des avions russes à partir du territoire ukrainien. Dans le passé, il est arrivé qu’on instaure des zones d’exclusion aérienne pour protéger des civils attaqués par leur propre gouvernement.

[Si on instaurait une zone d’exclusion aérienne], ce serait une troisième nation qui s’ingérerait dans un conflit entre deux pays. Les chances de succès d’une telle opération sont moindres. Nous aurions les conditions parfaites pour une Troisième Guerre mondiale.

Andrea Charron, directrice du Centre d’études sur la défense et la sécurité de l’Université du Manitoba

Vladyslav Lanovoy estime que les sanctions économiques finiront par peser dans la balance. Les effets sur l’économie russe se feront sentir alors que le pays se referme sur lui-même. Mais cela ne mettra pas fin aux bombardements à court terme.

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Soldats prorusses dans la région de Donetsk

« On assiste plus à une progression du conflit qu’à une désescalade. À court terme, il faut envoyer à l’Ukraine plus d’armement de tout type vers le front. Si on rate cette occasion, ça va progresser », soutient le professeur.

Médiation d’Israël

Les actions diplomatiques se sont multipliées samedi.

Le chef du gouvernement israélien, Naftali Bennett, a rendu visite à Vladimir Poutine, avant de s’entretenir la même journée avec Volodymyr Zelensky.

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Le premier ministre israélien Naftali Bennett (à gauche), et le chancelier allemand Olaf Scholz

Jusqu’à présent, M. Bennett ne s’est pas joint au concert des condamnations internationales de l’invasion russe de l’Ukraine lancée le 24 février, en soulignant les liens solides qui unissent Israël à Moscou et à Kyiv.

Peu après cette médiation, il s’est rendu à Berlin pour rencontrer le chancelier allemand, Olaf Scholz.

Le président ukrainien a également annoncé avoir discuté avec le président américain Joe Biden sur des « questions de sécurité », du « soutien financier pour l’Ukraine » et de « la poursuite des sanctions contre la Russie ».

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Un homme fait ses adieux à ses proches, qui quittent Kyiv à bord d’un train d’évacuation.

Le secrétaire d’État américain Antony Blinken est arrivé samedi soir en Moldavie. M. Blinken devrait rassurer le petit pays, fracturé par une région dissidente prorusse, la Transnistrie, à la frontière occidentale de l’Ukraine.

Certains analystes pensent que le territoire pourrait être utilisé comme base arrière dans l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe.

Plus tôt, le chef de la diplomatie américaine s’était rendu à la frontière de la Pologne et de l’Ukraine pour s’y entretenir avec son homologue ukrainien, Dmytro Kouleba.

Avec l’Agence France-Presse