(Hajnówka et Sokółka, Pologne) Dons matériels, bénévolat, pompiers et médecins qui arpentent les forêts, sans oublier des lumières vertes qui signalent que la porte est ouverte aux migrants. À rebours de l’intransigeance du gouvernement polonais, ils sont nombreux en Pologne à se mobiliser pour sauver les vies des migrants coincés dans les forêts frontalières de la Biélorussie. Même si un camp a été fermé jeudi par le gouvernement biélorusse, il reste bien des gens à secourir.

Béret vissé sur sa tête, Kalina serre une de ses collègues dans ses bras. L’émotion est forte pour cette trentenaire. Il faut dire qu’elle vient d’assister à la première étape d’un refoulement de trois citoyens irakiens à l’orée de la forêt polonaise. Direction « la case départ » pour ces candidats à l’asile en Pologne, qui se sont introduits en territoire polonais via la Biélorussie voisine.

Interceptés par les gardes-frontières polonais, ces trois migrants, qui ont traversé la forêt entre la Biélorussie et la Pologne en octobre, seront reconduits par les forces de l’ordre polonaises « à la ligne de démarcation de la frontière ». Ils avaient pourtant déclaré à Kalina et répété aux journalistes présents ce jour-là qu’ils souhaitaient bien demander l’asile en Pologne.

« Une véritable crise humanitaire »

Défiant le droit international qui prévoit le droit d’asile, les gardes-frontières polonais ne font pourtant qu’appliquer la loi polonaise. Celle-ci autorise officiellement depuis la mi-octobre les refoulements d’étrangers dépourvus de titre de séjour polonais dans les denses forêts de Podlachie. « On fait face à une véritable crise humanitaire », déplore Kalina.

« Nous sommes intervenus auprès de personnes qui étaient au bout du rouleau, cela faisait sept fois qu’elles étaient refoulées, plusieurs avaient pourtant demandé l’asile », lance cette Polonaise qui a temporairement mis son travail de côté pour se joindre aux bénévoles de Grupa Granica. Ce collectif regroupant plusieurs ONG polonaises opère depuis le début de cette crise migratoire en Pologne.

PHOTO HÉLÈNE BIENVENU, COLLABORATION SPÉCIALE

Près de Budy, en Pologne, Maciej, militant de Grupa Granica, tente d’empêcher physiquement le refoulement de migrants irakiens.

Depuis l’été, le dirigeant biélorusse Alexandre Loukachenko – frauduleusement réélu à l’été 2020 – délivre des visas touristiques en masse à des étrangers pour la plupart du Moyen-Orient à qui les agences de voyages promettent un passage rapide en Europe occidentale via la frontière polono-biélorusse.

La Pologne a relevé plus de 33 000 entrées irrégulières sur son territoire depuis le début de l’année 2021. Et avec les températures en chute libre à cette période de l’année, les ONG redoutent un bilan bien plus élevé que la douzaine de morts officiellement constatées dans ces forêts.

Je crains qu’il n’y ait bien plus de corps sans vie dans les recoins marécageux. Et à l’avenir, on ne peut que redouter davantage de morts : les températures peuvent atteindre - 30 ici.

Agata Kołodziej, employée de la fondation Ocalenie, une organisation polonaise venant en aide aux migrants

SOS lancés par messagerie

Agata et ses collègues ont déjà participé à plus de 300 interventions sur le terrain. Le téléphone intelligent s’avère un outil indispensable à tout sauvetage. Les migrants – ou leurs proches – lancent des SOS aux membres de Grupa Granica par messagerie, indiquant leur localisation et leurs besoins. Chargés de vêtements chauds, de thé, de soupe, de barres céréalières, de sacs de couchage, des bénévoles sont déployés au plus vite sur place.

Enfin, à condition que les personnes à secourir se trouvent bien hors de la zone d’état d’urgence située à trois kilomètres de la frontière. Car les ONG comme la presse n’ont pas accès à cette zone d’exclusion décrétée par la Pologne.

Lumière verte allumée

Si le gouvernement national conservateur polonais maintient une position inflexible envers ces exilés qu’il considère comme de simples rouages dans la stratégie d’Alexandre Loukachenko, une partie de la société polonaise se mobilise pour éviter le drame dans les forêts de Podlachie. Certains résidants affichent même leur porte ouverte aux migrants en allumant une lumière verte chez eux.

C’est Kamil Syller, qui habite à cinq kilomètres de la frontière, qui en est à l’origine. « Cette lumière verte signifie qu’en toquant à la porte, tout migrant pourra recevoir un repas chaud, recharger son téléphone… Le vert, c’est la couleur de l’espoir. C’est un signal pour les voisins aussi pour les inciter à faire de même. »

Chez Kamil comme ailleurs, les dons affluent de toute la Pologne. Comme dans le poste de pompiers de Michałowo, une commune de 6000 habitants à une vingtaine de kilomètres de la frontière. En cette soirée de novembre, Elżbieta Oczko, pompière bénévole, y trie une montagne de vêtements. « Pour moi, c’est normal d’être mobilisée : les pompiers sont là pour aider. Ces gens ont été trompés, ils n’ont plus rien. Ils sont coincés ici et ne peuvent pas rentrer chez eux. C’est absolument tragique », affirme la mère de famille.

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Nombre de migrants qui sont morts des deux côtés de la frontière depuis l’été, selon des organisations humanitaires

Le Centre polonais d’aide internationale (PCPM) a déclaré avoir aidé, aux premières heures de jeudi, un couple syrien qui se trouvait dans la forêt frontalière depuis un mois et demi. « Leur enfant de 1 an est mort dans la forêt », a-t-il indiqué.

Source : Agence France-Presse