(Kiev) « Papa est mort ce matin », sanglote une jeune femme dans un hôpital de Kiev. Cette scène est de plus en plus fréquente en Ukraine, pays frappé par une vague meurtrière de COVID-19 aggravée par une faible vaccination sur fond de méfiance.

Dans la morgue de cet établissement entouré d’un vaste parc, des corps emballés dans des sacs en plastique noir sont alignés sur des tables.  

« Depuis hier, cinq de nos patients sont décédés », dénombre Tetiana Mostepan, directrice de cet hôpital dont 70 % des 455 lits pour les malades de la COVID-19 sont occupés.  

Et parmi les malades hospitalisés, seulement « trois ou 4 % » sont vaccinés, poursuit cette énergique brune de 37 ans.

L’Ukraine, un des pays les plus pauvres de l’Europe qui compte quelque 40 millions habitants, est confrontée depuis des semaines à une progression fulgurante de l’épidémie, portée par le variant Delta du virus, plus contagieux.  

Avec 720 décès mercredi, l’Ukraine figurait parmi les trois pays du monde ayant enregistré le plus de morts dans leurs derniers bilans quotidiens, derrière les États-Unis et la Russie. Le pays a aussi comptabilisé près de 23 400 cas en 24 heures le même jour, après un pic à près de 27 000 la semaine dernière.  

Pour enrayer cette flambée, les autorités ne cessent d’appeler les Ukrainiens à se faire immuniser avec l’un des trois vaccins disponibles : Pfizer/BioNTech, AstraZeneca et le chinois Coronavac.  

« Débranchez les réseaux sociaux »

Rien qu’à Kiev, les autorités ont ouvert quelque 180 centres de vaccination, y compris dans des centres commerciaux et des gares.  

Mais à ce jour, 7,6 millions de personnes ont reçu deux doses, soit moins de 20 % de la population.

La vaccination s’est certes accélérée en octobre sous la pression des autorités qui ont mis en place des restrictions pour les non-vaccinés, comme l’obligation de montrer un passeport sanitaire pour accéder à certains lieux publics.

Mais signe du fort rejet des vaccins, beaucoup préfèrent acheter un certificat de vaccination falsifié. La police a ouvert des centaines d’enquêtes à ce sujet.

Cela s’explique par « une méfiance vis-à-vis de l’État », estime Mme Mostepan, déplorant que certains « écoutent toutes sortes de sottises » au sujet des vaccins.

Face à l’avalanche de fausses informations circulant sur l’internet, le président Volodymyr Zelensky a appelé ses compatriotes à « débrancher les réseaux sociaux » pour « brancher leur cerveau » et « se faire vacciner ».  

Mais Sergui Tsaryk refuse de changer d’avis même après avoir contracté la maladie. « Je n’ai pas confiance dans ces vaccins développés trop vite », explique cet ouvrier dans le bâtiment de 47 ans, assis sur son lit d’hôpital.  

« Je suis contre la vaccination » qui « modifie l’ADN », lance une autre patiente, âgée d’une soixantaine d’années et qui refuse de donner son nom.

« Aucune confiance dans les vaccins, les médecins et la médecine… Cela rend notre travail encore plus difficile », soupire Galyna Litovaltseva, cheffe de l’unité où les deux patients sont soignés.  

Hausse de mortalité

Si des experts critiquent une campagne d’information gouvernementale insuffisante, Ioulia Vakoulenko, cheffe d’un service de réanimation dit « comprendre » les craintes de ses compatriotes.

« Les soignants ne sont pas là pour juger, ils soignent », souligne cette femme de 37 ans pendant que ses équipes, en tenues de protection, masques et visières, s’affairent autour des patients.

Son unité, déjà pleine, s’efforce d’aménager des places supplémentaires face à l’afflux de malades.  

« Il n’y a plus de forme modérée. Les patients arrivent tous dans un état grave » et la mortalité en réanimation est passée de 30 % au printemps à 48 % en octobre, relève Mme Vakoulenko.  

Beaucoup de malades ont besoin d’oxygène dont la consommation accrue a provoqué des pénuries dans certaines régions.  

En 2020, l’hôpital « consommait quatre à cinq tonnes d’oxygène par jour », volume annuel de l’époque avant la COVID-19, mais « aujourd’hui on en utilise jusqu’à sept tonnes quotidiennement », détaille Mme Mostepan.  

Infirmière en chef de la clinique, Natalia Etnis est à bout. « Il faut donner plus d’informations sur les vaccins » et « détruire les mythes », insiste la jeune femme.

Fait rare en Ukraine, elle rêve même de pouvoir vacciner ses deux enfants, pour « ne pas vivre dans la terreur en permanence ».