(Londres) À la tête des travaillistes, Jeremy Corbyn rêvait d’un Royaume-Uni à gauche toute, mais a refusé de se prononcer sur le Brexit, événement historique pour son pays. Sur un siège éjectable après une défaite cuisante, il est désormais réduit à penser à sa succession.

« Je ne conduirai pas le parti lors d’une quelconque élection », a concédé le chef de l’opposition, depuis sa circonscription d’Islington, dans le nord de Londres, où il a remporté à 70 ans un 10e mandat.

Mais il restera à son poste le temps que soit menée une « réflexion sur le résultat du scrutin et sur sa future politique », a assuré cet ancien militant syndical, rejetant les appels à un départ immédiat.

Sa défaite historique laisse le Labour face au choix radical de maintenir sa ligne gauchisante, qui a attiré de nombreux jeunes dans ses rangs, ou revenir à la sociale-démocratie triomphante des années Tony Blair.

Les milieux financiers voient en Jeremy Corbyn un dangereux marxiste synonyme de chaos économique, la communauté juive l’a accusé d’avoir laissé prospérer l’antisémitisme parmi les militants. Surtout, son ambiguïté sur le Brexit lui a attiré les critiques des « Brexiters » comme des « Remainers ».

Ce socialiste revendiqué à la courte barbe blanche a malgré tout mené campagne sans dévier, promettant nationalisations et milliards pour les services publics, avec le pari de convaincre des électeurs épuisés par une décennie d’austérité conservatrice.

Comme il avait pris en 2015 la tête de son parti sans qu’on le voie venir.

« Neutre » sur le Brexit

Eurosceptique dans un parti dont les députés sont majoritairement europhiles, Jeremy Corbyn a choisi d’entretenir l’ambiguïté face au Brexit, voté par 52 % des Britanniques en juin 2016.  

Il promettait de négocier un nouvel accord de sortie de l’Union européenne plus favorable aux droits des travailleurs, qu’il soumettrait à un référendum avec comme alternative le maintien dans l’UE. Pressé de se prononcer, il avait fini par expliquer qu’il serait « neutre » pendant une telle campagne.

« La question n’est pas seulement de savoir si Jeremy Corbyn peut survivre comme chef, mais qui va lui succéder », a observé Sara Hobolt, professeur à la London School of Economics. Elle a relevé cependant qu’un changement de dirigeant ne signifiait pas forcément un changement d’orientation pour un parti dont les membres se situent fermement à gauche.

Coupant court à tout débat sur le positionnement idéologique du parti, Jeremy Corbyn a averti vendredi : « les questions de la justice sociale et des besoins du peuple ne vont pas disparaître ».

Ses alliés ont aussitôt resserré les rangs autour du besoin de maintenir une ligne à gauche. « Nous allons maintenir le Labour socialiste », a martelé Momentum, le groupe militant radical qui le soutient.

Cycliste végétarien

Né le 26 mai 1949, Jeremy Corbyn a développé son sens de l’engagement politique auprès de ses parents, un ingénieur et une enseignante, tombés amoureux lors d’une manifestation contre la guerre civile espagnole (1936-39).

Élevé dans l’ouest de l’Angleterre, le jeune homme ne se passionne guère pour les études. Après avoir décroché son bac, il part deux ans en Jamaïque pour le compte d’une association caritative.

À son retour, il s’installe à Islington, quartier du nord de Londres à l’époque cœur de la contestation gauchiste, désormais très boboïsé. Il y vit toujours dans une maison modeste, avec sa troisième épouse, une Mexicaine de 20 ans plus jeune que lui. Végétarien, Corbyn, père de trois enfants, revendique une vie « très normale » et se déplace à vélo.

Il avait pris en 2015 la tête de son parti sans qu’on le voie venir, créant la surprise. Il se distingue alors par le grand coup de barre à gauche qu’il impulse au parti. Il y avait jusque là joué un rôle marginal de rebelle et n’a jamais été ministre pendant les treize ans où le Labour était au pouvoir, de 1997 à 2010 sous Tony Blair puis Gordon Brown.

Militant propalestinien de longue date, il a vu revenir avec une force renouvelée pendant la campagne les accusations d’avoir laissé s’enraciner l’antisémitisme au sein du parti.