La condamnation à cinq ans de camp, en 2013, du principal opposant russe Alexeï Navalny, dans un procès pour détournement, a été «arbitraire» et on peut «craindre» qu'elle ait été de «nature politique», a jugé mardi la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).

Les tribunaux russes «font fortement craindre» que les poursuites contre les requérants et leur condamnation «était de nature politique», a estimé la Cour.

Pour les magistrats européens, il est en effet «impossible d'ignorer» que les premières investigations dans ce dossier ont été lancées trois semaines après que M. Navalny eut laissé entendre sur son blogue que le président Vladimir Poutine était impliqué dans des détournements de fonds liés à la construction d'un oléoduc en Sibérie.

Dans cette affaire, «la loi pénale a été arbitrairement interprétée au détriment des requérants», c'est-à-dire M. Navalny et son coaccusé Piotr Ofitserov, ont estimé les juges européens, qui ont ordonné à Moscou de verser 8000 euros (12 000 $) à chacun à titre de dédommagement moral.

Cet arrêt n'est pas définitif : la Russie a trois mois pour demander un nouvel examen du dossier, que la Cour n'est toutefois pas tenue de lui accorder.

M. Navalny, 39 ans, qui dénonce depuis des années la corruption des élites en Russie, s'est immédiatement félicité de cette décision sur son blogue. «La vérité est avec nous et nous gagnerons», a-t-il affirmé, soulignant qu'il s'efforçait de «défendre la patrie contre les voleurs et les crapules qui ont confisqué le pouvoir en Russie».

L'opposant avait été reconnu coupable d'avoir organisé en 2009 le détournement de quelque 400 000 euros (environ 600 000 $) au détriment d'une société publique d'exploitation forestière, Kirovles, alors qu'il était consultant du gouverneur libéral de la région.

Son coaccusé Piotr Ofitserov, directeur d'un groupe commercial auquel Kirovles a vendu du bois à un prix inférieur à celui du marché, selon l'accusation, avait de son côté été condamné à quatre ans de camp.

En octobre 2013, un tribunal régional avait confirmé le jugement sur le fond, tout en assortissant les peines du sursis.

La CEDH a en particulier critiqué le fait que MM. Navalny et Ofitserov aient été désignés comme coupables avant même leur procès, à l'occasion du jugement rendu en décembre 2012 contre un autre acteur de ce dossier, en l'occurrence l'ex-directeur de Kirovles, qui avait accepté de collaborer avec l'accusation.

Par la suite, lorsque l'opposant et son coaccusé ont été jugés, «le risque de prononcer des jugements contradictoires était un élément qui a dissuadé les juges de rechercher la vérité et a amoindri leur capacité à administrer la justice», selon la CEDH.

Alexeï Navalny, qui en octobre 2013 a obtenu le score honorable de 27,2 % à l'élection municipale de Moscou, s'est imposé ces dernières années comme l'opposant numéro un à Vladimir Poutine. Il a d'ailleurs récemment déposé une plainte pour «conflit d'intérêts» contre le président, dans une affaire de fonds publics versés à une société pétrochimique. Mais cette plainte a été rejetée au nom de l'immunité du chef de l'État.

Sa formation politique, le parti du Progrès, a été déclarée illégale en avril 2015.

Ces dernières années, il a fait plusieurs allers-retours en prison ou a été assigné à résidence, généralement pour des participations à des rassemblements non autorisés.

Fin 2014, il avait écopé de trois ans et demi de prison avec sursis pour avoir détourné près de 400 000 euros appartenant à une filiale russe de la société française de cosmétiques Yves Rocher.