L'éprouvante récupération des corps des migrants victimes d'un naufrage jeudi s'est poursuivie lundi au large de l'île italienne de Lampedusa, dont les habitants réclament l'aide de l'Europe face à un afflux incessant de réfugiés.

Au cours de la journée, 38 nouveaux corps, dont ceux de cinq femmes, ont été récupérés, avant que les recherches ne soient interrompues par la tombée de la nuit. Elles reprendront mardi matin autour de l'épave, transformée en «cimetière géant».

Le bateau transportait environ 500 Érythréens et Somaliens, dont seulement 155 ont pu être sauvés, ce qui laisse craindre un bilan de 300 à 360 morts. À ce jour, 232 corps ont été retrouvés.

«Il y a beaucoup de jeunes. Vous avez l'impression de voir vos propres enfants. C'est tragique», glisse Angelo Vesto, un militaire responsable du transport des corps dans les linceuls de plastique.

«Ma famille et beaucoup d'amis étaient sur ce bateau. Je ne peux pas en parler, c'est trop douloureux», a confié à l'AFP Ali, parti d'Érythrée dont il fuyait le régime dictatorial. Rencontré dans le centre d'accueil de Lampedusa, il a raconté à l'AFP comment il avait «nagé pendant cinq heures avant que les secours arrivent».

Le centre d'accueil est submergé avec 1000 occupants (pour officiellement 250 lits) dont certains sont contraints de dormir à l'extérieur sous des abris de fortune.

Le pape François, qui a qualifié la tragédie de «honte», a envoyé un représentant spécial, le Polonais Konrad Krajewski, qui a remis un rosaire à chacun des sauveteurs.

La catastrophe a relancé le débat sur l'immigration en Italie, qui fait face à un afflux exceptionnel de migrants (30 000 depuis le début de l'année, quatre fois plus qu'en 2012), et dans toute l'Europe. Le thème sera abordé mardi lors d'une réunion ministérielle européenne à Luxembourg.

Selon des sources gouvernementales à Rome, l'Italie envisage une modification du droit d'asile.

Et mercredi, le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, se rendra sur l'île afin de «rendre hommage aux victimes et exprimer solidarité et gratitude aux habitants de Lampedusa».

La réticence de l'Union européenne à modifier sa politique migratoire est liée à la complexité d'un dossier politiquement explosif, notamment à l'approche du scrutin européen du printemps 2014.

L'Europe du Sud (Grèce, Italie, Espagne) réclame un mécanisme de répartition européen pour la gestion des demandes d'asile alors que, selon le principe dit de Dublin II, datant de 2003, les candidats doivent déposer leur demande dans le premier pays dans lequel ils entrent.

Autre exigence : un contrôle accru des côtes européennes qui sont du ressort de l'agence Frontex, créée en 2004, mais dont le budget annuel ne dépasse par 60 millions d'euros, une «honte» selon le chef de la diplomatie française Laurent Fabius.

En Italie, le gouvernement de coalition gauche-droite, par la voix de sa ministre de l'Intégration Cécile Kyenge, a aussi annoncé une réunion cette semaine pour modifier une loi Bossi-Fini qui considère comme «suspects» tous les immigrants clandestins.

C'est ainsi que les 154 rescapés, tous érythréens, du naufrage de Lampedusa sont considérés juridiquement comme des délinquants, au même titre que le passeur tunisien de 35 ans qui pilotait leur bateau clandestin, parti de Misrata en Libye.

Sur la petite île, l'impatience grandit.

«Franchement, nous n'en pouvons plus. Cette île, qui devrait être une magnifique destination touristique avec les plages les plus belles du monde, est devenue un grand cimetière. L'Europe doit agir», déclare à l'AFP Filippo Bruno, un pêcheur de 57 ans.

La Sicile est particulièrement sollicitée. Lundi, 363 migrants syriens et égyptiens - dont 200 ont été sauvés par le navire océanographique français Suroit et un navire marchand néerlandais - ont été transférés lundi à Pozzallo et les autres à Syracuse.