Q Comment le mouvement de protestation a-t-il commencé ?

R : Le 27 mai, une cinquantaine de protestataires - des environnementalistes, des artistes, des militants gais et des familles - ont commencé un sit-in aux airs de carnaval dans le parc Gezi, situé juste à côté de la place Taksim, qui est en quelque sorte le coeur d'Istanbul. Les manifestants s'opposaient au projet de promoteurs immobiliers qui veulent construire un centre commercial sur l'emplacement du parc actuel, et ce, avec l'aval du gouvernement. Cette manifestation n'avait rien d'inhabituel. Plusieurs Stambouliotes critiquent la tendance du gouvernement à délaisser les rares espaces verts de la métropole au profit de grands projets commerciaux et d'infrastructure.

Q : Comment cette petite manifestation s'est-elle transformée en un mouvement national ?

R Le 30 mai, les policiers sont débarqués dans le parc Gezi et ont utilisé des canons à eau et des gaz lacrymogènes pour disperser la petite manifestation. Les images, diffusées dans les réseaux sociaux mais ignorées des médias turcs, ont soulevé la grogne. Deux jours plus tard, une grande manifestation de solidarité avec les protestataires du parc a été organisée à la place Taksim. L'intervention de la police a fait plusieurs centaines de blessés. Cette deuxième intervention, couverte par les médias étrangers, a mis de l'huile sur le feu. Depuis, des manifestations ont lieu tous les jours à la place Taksim, mais aussi dans une quarantaine de villes turques. À ce jour, quatre personnes ont perdu la vie et plus de 5000 auraient été blessées.

Q : Qui sont les manifestants ?

R : Le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, principale cible des manifestants, clame que ces derniers sont à la solde des partis d'opposition, dont le Parti républicain du peuple (CHP). Les manifestants sur le terrain ont une tout autre perception. « Presque tous les groupes sont représentés. Il y a des syndicats, des architectes, des avocats, des gens de la gauche, des kémalistes et des ultranationalistes «, a dit hier à La Presse une manifestante de la première heure sous le couvert de l'anonymat. « Les gens des partis sont là, mais ils sont de moins en moins visibles «, continue-t-elle. Une chercheuse universitaire, Ersa Ercan Bilgic, a fait un sondage parmi les manifestants et a noté que 70 % des 3000 répondants ne revendiquaient aucune affiliation politique. Selon cette étude, la majorité d'entre eux se disaient « libéraux « et « pro-liberté «.

Q : Que revendiquent les manifestants ?

R : Les manifestations sont devenues un grand fourre-tout de doléances. Des membres de la minorité alévie ont protesté contre le fait que le premier ministre veut donner au troisième pont du Bosphore le nom d'un sultan ottoman qui a massacré des dizaines de milliers d'Alévis au XVIIe siècle. Beaucoup d'autres viennent s'opposer à des politiques du gouvernement Erdogan, qu'ils jugent trop « islamisantes « ou « contraires à la laïcité turque «. De nouvelles restrictions sur la vente et la consommation d'alcool sont fortement décriées. Par ailleurs, certains groupes ultranationalistes s'opposent à la position de la Turquie sur le conflit syrien.

Cependant, au cours des derniers jours, une plateforme de ralliement a été élaborée par un comité rassemblant les divers mouvements qui participent à la protestation. Cette coalition, baptisée Solidarité Taksim, demande le maintien du parc Gezi et le licenciement de tous ceux qui ont ordonné la répression policière des manifestations, dont le chef de police d'Istanbul. Ils revendiquent aussi la libération des manifestants arrêtés, l'interdiction des gaz lacrymogènes et la levée de toutes les restrictions à la liberté d'expression.

Q : Les manifestants demandent-ils le départ du premier ministre ?

R : Dans les manifestations, certains protestataires ont repris le slogan du printemps arabe en scandant « Dégage, Erdogan». Ils n'hésitent pas à qualifier Erdogan de « fasciste « et de « dictateur «. Cependant, Solidarité Taksim ne demande ni la démission du premier ministre ni la tenue de nouvelles élections. Le gouvernement du Parti justice et développement, dirigé par Recep Tayyip Erdogan, a été élu en juin 2011 avec près de 47 % des voix, dans une élection jugée libre par la communauté internationale.