La Cour européenne des droits de l'homme a jugé discriminatoire mardi l'actuelle Constitution bosniaque qui interdit aux Juifs et aux Roms de gouverner le pays, ce qui va contraindre Sarajevo à s'atteler à une réforme constitutionnelle.

Les juges de Strasbourg avaient été saisis par deux Bosniaques, l'un Juif et l'autre Rom, qui contestaient le fait de ne pas pouvoir être candidats à certaines fonctions électives en raison de leur origine. En cause: le complexe système institutionnel mis en place par les accords de Dayton, qui avaient mis fin en 1995 à la guerre de Bosnie.

Ce dispositif réserve aux citoyens issus des «peuples constituants» du pays, c'est-à-dire les Serbes, les Croates et les Musulmans bosniaques, l'accès à la chambre haute du parlement et à la présidence tripartite de l'État. Les citoyens issus de tout autre peuple ou minorité, notamment les Juifs ou les Roms, désignés comme «les Autres», ne peuvent pas être candidats à ces fonctions, selon la Constitution.

Cette interdiction «ne repose pas sur une justification objective et raisonnable» et est donc contraire à la Convention européenne des droits de l'homme qui interdit la discrimination, ont estimé les juges européens.

Certes ce dispositif, à l'époque de sa mise en place, «poursuivait le but légitime du rétablissement de la paix», a reconnu la Cour, car il visait à empêcher que l'un des ex-belligérants n'impose ses vues aux autres. Toutefois, depuis 1995, «la situation de la Bosnie-Herzégovine s'est nettement améliorée», a-t-elle ajouté.

La décision de la Cour constitue «un grand pas en avant dans le combat pour l'égalité de tous les Bosniaques», s'est félicité l'un des requérants, Jakob Finci, actuel ambassadeur de son pays en Suisse.

M. Finci, 63 ans, s'était vu refuser en 2007 d'être candidat à la présidence de son pays en raison de ses origines juives. L'autre requérant, Dervo Sejdic, 53 ans, est un des responsables du Conseil des Roms de Bosnie et travaille sur les dossiers liés aux Roms à la mission de l'OSCE à Sarajevo.

«Cette décision tombe au bon moment et je suis confiant que les textes puissent être modifiés d'ici avril ou mai, afin que la réforme puisse s'appliquer aux élections prévues en octobre 2010», a ajouté M. Finci, dans une déclaration à l'AFP. «La société bosniaque y est prête», a-t-il estimé.

La décision de mardi, qui a également été saluée par l'ONG «Minority Groups international», devrait contraindre la Bosnie à accélérer ses efforts en vue de modifier sa Constitution. Mais depuis 2008, les trois communautés qui se partagent le pouvoir à Sarajevo (Croates, Serbes et Musulmans) s'opposent sur la teneur de cette réforme.

Une nouvelle initiative, lancée en octobre dernier par la présidence suédoise de l'Union européenne et les États-Unis, n'a pas donné lieu à un accord, les politiciens locaux campant sur leurs positions divergentes.

Le principal enjeu des réformes proposées est le renforcement des institutions centrales au détriment des deux entités composant la Bosnie: la Republika Srpska (RS, Serbes) et la Fédération croato-musulmane. L'idée est chère aux politiciens musulmans bosniaques, mais systématiquement rejetée par les dirigeants serbes bosniaques.

La Cour «partage la thèse du gouvernement (bosniaque) selon laquelle le temps n'est peut-être pas encore venu pour un système politique qui abandonne l'exercice commun du pouvoir». Cependant, a-t-elle observé, «il existe des mécanismes communs du pouvoir qui n'impliquent pas nécessairement l'exclusion» des minorités.