MOSCOU - Critiquant avec force ses successeurs, Mikhaïl Gorbatchev associe désormais la formation Russie unie de Vladimir Poutine aux pires aspects du parti communiste soviétique qu'il a dirigé et contribué à faire chuter.

«C'est un parti de bureaucrates, et une version en pire du PC de l'Union soviétique (PCUS)», assène Gorbatchev.

La Russie est un pays où on «ne peut pas dire que le Parlement est indépendant du pouvoir exécutif», pas plus que «la justice n'est conforme à la définition qu'en donne la Constitution», affirme l'ancien président soviétique dans un entretien accordé jeudi à l'Associated Press.

Vingt ans après l'effondrement de l'URSS, Gorbatchev estime, au regard de la crise mondiale, que le capitalisme doit être tempéré par des éléments de socialisme, même s'il a aidé à balayer ce système.

L'ancien président soviétique a été interviewé au siège de sa fondation, fondée en 1992 pour promouvoir la démocratie, ses valeurs et sa morale, et les principes humanistes. Et Gorbatchev lui-même, aux dires de certains. Un peu plus vieux, un peu plus enveloppé, à 78 ans, l'ex-chef du Kremlin est encore téméraire et rappelle celui qui fut à la tête d'une des deux grandes puissances mondiales.

Mikhaïl Gorbatchev est un personnage paradoxal après toutes ces années, crédité dans le monde entier pour un événement historique qu'il n'a pas voulu causer. Il voulait remettre sur pied le communisme, pas le détruire, rappelle-t-il. Et s'il était prêt à libérer les pays satellites d'Europe de l'Est, il aurait préféré que l'Union soviétique reste entière. «J'étais un opposant résolu à l'éclatement de l'Union», souligne celui qui dut démissionner le 25 décembre 1991, parce que le pays qu'il dirigeait n'existait plus.

Il espère encore qu'un jour, l'Ukraine, le Kazakhstan et le Bélarus reviendront dans le giron de la Russie, pour former une nouvelle union.

A propos de la crise actuelle, il déclare: «Les médias américains ont claironné sur la victoire (de l'Occident) dans la guerre froide, assurant que le socialisme était à bas. C'est l'excès de confiance qui a mené à cela, l'idée que les choses allaient se poursuivre comme elles étaient. Et ça a duré longtemps, mais maintenant je pense que tout le monde en a tiré la dure leçon.»

«Il faut dépasser ces erreurs de l'ultra-consumérisme, des super-profits», poursuit le dirigeant déchu. Nous devons trouver, au G-20 ou ailleurs, de nouveaux modèles de coopération et de développement», conseille-t-il.

Il estime également que l'heure est venue d'améliorer les relations américano-russes et prône un maximum de dialogue pour résoudre le problème du nucléaire iranien. «Laissons l'Iran s'intégrer à la communauté internationale et construire des relations normales», suggère l'ancien dirigeant.

Si le monde attend de tels conseils, ce n'est probablement pas le cas de la Russie.

«Même si nous vivons plus librement aujourd'hui qu'à l'époque du communisme grâce à ce qu'il a fait, il restait néanmoins le dirigeant d'un régime dictatorial», estime Peter Nagy, fonctionnaire de 37 ans à Budapest. «Je ne voudrais pas de lui aujourd'hui comme leader», conclut-il.

«Personnellement, en tant que politicien, j'ai perdu», reconnaît Gorbatchev. «Mais l'idée que j'ai transmise et le projet que j'ai porté ont joué un rôle considérable dans ce pays et dans le monde. A présent, la situation est telle que de plus en plus de gens commencent à comprendre ce que Gorbatchev a fait», insiste l'intéressé.