Construits pour débusquer l'arsenal nucléaire soviétique durant la guerre froide, les avions espions U-2 jouent aujourd'hui un rôle de premier plan en Irak et en Afghanistan. Mais l'heure de la retraite approche. Portrait d'un appareil qui a la couenne dure.

Le 1er mai 1960, l'avion espion américain U-2 est entré par la mauvaise porte de l'histoire après qu'un de ces appareils se fut abattu au-dessus de l'Union soviétique. N'empêche, 50 ans plus tard, les U-2 sont plus actifs que jamais.

Ils ne cherchent plus des missiles nucléaires soviétiques. Mais dans le ciel de l'Irak et de l'Afghanistan, ils sont très utiles pour détecter des bombes artisanales.

Volant à une altitude exceptionnelle de 70 000 pieds (21 336 mètres), ces aéronefs sont toujours équipés d'appareils photo à très haute résolution. Et même à cette distance, leurs capacités optiques sont exceptionnelles.

«Avec ses capteurs, une des principales utilisations de cet appareil est de repérer les engins explosifs improvisés, observe Pierre-Alain Clément, doctorant et chercheur sur le Moyen-Orient à la chaire Raoul-Dandurand de l'UQAM. En survolant le terrain, l'U-2 peut repérer les endroits où le sol a été remué et, peut-être, où ont été enterrés des engins. Il peut aussi repérer des pistes d'hélicoptères, des infrastructures, ce qui permet de préparer le terrain avant de se lancer à l'attaque.»

Lors de la récente offensive des troupes américaines à Marjah, en Afghanistan, des U-2 ont permis de détecter 150 endroits potentiels de bombes artisanales, a rapporté The New York Times en mars. Une fois l'information transmise au sol, les marines ont neutralisé les lieux suspects.

L'affaire Powers

Nous sommes en 1955. Les États-Unis et l'URSS sont plongés dans la guerre froide. La course aux armements est lancée. Mais la conquête spatiale n'est pas commencée et aucune des deux superpuissances ne possède de satellite espion.

Les ingénieurs aéronautiques américains mettent au point l'U-2, capable de voler à une altitude deux fois plus élevée que celle des avions commerciaux. De là-haut, les pilotes voient la courbe de la Terre. Et portent des combinaisons spatiales avec casques assortis.

Cette année-là, donc, les avions U-2 font leurs premiers essais. L'année suivante, ils entrent en service. Leur but: rassembler toute l'information possible sur l'industrie nucléaire et militaire soviétique.

Avec la complicité du Pakistan, les États-Unis installent des appareils à la base de Badaber, près de Peshawar. Le 1er mai 1960, un avion piloté par Francis Gary Powers pour le compte de la CIA décolle de là avec pour mission de photographier les installations de missiles construites près des villes de Sverdlovsk et Plesetsk. Mais les Soviétiques abattent l'appareil et capturent Powers.

Ce dernier a instruction de détruire l'avion à tout prix et même de se suicider pour ne révéler aucun secret. Dans les jours suivent l'affaire, les Soviétiques ne révèlent pas qu'il est vivant et amènent les Américains à se compromettre et à mentir, disant que l'avion était en fait employé à des études météorologiques et qu'il s'est égaré.

Pris en flagrant délit de mensonge, le président Eisenhower est humilié et refuse de présenter ses excuses.

«Toute cette affaire a détérioré les relations entre les États-Unis et l'URSS à une époque où elles étaient déjà très tendues, observe Pierre Jolicoeur, professeur de sciences politiques au Collège militaire royal de Kingston. Je crois que cela a mis la table à un climat de suspicion, de méfiance entre les deux grands qui a conduit à la crise des missiles de Cuba.»

Condamné à 10 ans de prison en URSS, Powers a finalement été libéré au bout de 21 mois après avoir été échangé contre l'espion du KGB Rudolf Abel.

Son retour aux États-Unis ne s'est pas déroulé dans la gloire. Plusieurs lui ont reproché de ne pas avoir suivi les ordres de détruire son appareil. Mais une commission sénatoriale a conclu que Powers n'avait révélé aucun secret et qu'il s'était bien conduit.

Ironie du sort, l'homme est mort en 1977 à la suite de l'écrasement de l'hélicoptère qu'il pilotait pour une station de télévision de Los Angeles.

Près de la retraite

L'autre moment fort de l'histoire de l'avion U-2 est survenu en 1962, lorsque des appareils de ce type ont réussi à démontrer que les Soviétiques avaient installé des missiles nucléaires à Cuba. Cela avait mené à la crise que l'on sait.

Au fil des ans, les appareils ont été utilisés dans toutes les régions du monde: au Vietnam, durant la première guerre du Golfe, en Irak et en Afghanistan.

Ce ne sont toutefois pas les mêmes appareils que ceux construits dans les années 50 et 60. Ceux-ci ont été remplacés par de nouveaux aéronefs sortis des usines du constructeur Lockeed durant les années 70 et 80.

Mais, avec des satellites toujours plus sophistiqués et la multiplication des drones, les U-2 vont bientôt disparaître. Déjà, en 2006, le Pentagone s'apprêtait à les mettre au rancart. Une commission sénatoriale au congrès des États-Unis a mis son veto, estimant qu'ils pouvaient encore rendre service. On prévoit maintenant la fin des vols en 2013.

 

L'avion U-2 en Quelques dates

8 août 1955

Premiers essais en vol

4 juillet 1956

Première mission au-dessus de l'URSS

1er mai 1960

L'avion de Francis Gary Powers est abattu

14 octobre 1962

Les avions U-2 détectent des missiles soviétiques à Cuba

Février 1991

260 missions dans le cadre de la guerre du Golfe

Octobre 2001

Vols de reconnaissance au-dessus de l'Afghanistan