À Monterrey, dans le nord-est du Mexique, la peur des balles perdues dans les fusillades des «narcos» entre eux ou contre policiers et militaires a un à-côté commercial: l'essor des livraisons à domicile, depuis les plats préparés jusqu'aux médicaments.

«En ce moment, il vaut mieux rester chez soi quand tombe la nuit, car c'est alors que les tirs commencent», explique Dario Guzman. Il a 53 ans, et travaille dans une usine d'électroménager dans la capitale industrielle du Mexique, troisième ville du pays avec près de 4 millions d'habitants.

La psychose monte depuis la semaine dernière, quand des gangs du trafic de drogue ont bloqué les principales avenues pour empêcher les forces de l'ordre d'intervenir dans leurs règlements de comptes.

On n'avait jamais vu ici une telle entreprise d'intimidation, selon la police.

Le pire a été la mort de deux jeunes gens, tués par des balles perdues sur le campus de l'Institut Technologique et d'Études Supérieures de Monterrey, une université réputée qui accueille de nombreux étudiants étrangers.

Depuis, une vaste opération militaro-policière a été déclenchée, et six hommes de main présumés des cartels ont encore été abattus jeudi par l'armée au cours de deux fusillades successives dans la région.

Vendredi, on a retrouvé les corps décapités d'un chef de la police municipale et vraisemblablement d'un de ses hommes dans le coffre d'une voiture de patrouille, non loin de Monterrey.

Chez les Guzman, on a renoncé à sortir pour manger les «tacos», ces galettes farcies proposées à tous les coins de rue. «Mieux vaut les commander et se faire livrer», confirme Dario.

«La peur nous pousse à ne sortir que pour l'indispensable, travailler ou effectuer des paiements. Les achats, y compris pour la nourriture, on peut les faire de chez soi», explique-t-il.

Il n'est pas le seul à réagir ainsi, car le marché des livraisons à domicile est en plein «boom».

«Pour nous, les premières statistiques ont été une surprise, jusqu'à 40% de hausse du nombre de commandes entre vendredi et lundi, en comparaison d'un week-end habituel», commente le président de la Chambre de commerce au détail, Ernesto Luna.

Les restaurants et les pharmacies ont été les plus sollicités parmi les 10 000 PME inscrites à la Chambre, précise-t-il.

Le pic se situe près du campus, précise Hernan Pazos, directeur du site internet atumesa.com (à ta table), avec 950 clients ce dernier week-end au lieu des 600 habituels.

Les demandes de livraison à domicile sont passées de 20 à 150 par jour par supermarché, estime-t-on à l'Association locale des magasins en libre-service.

«Quand tu ne sais pas ce qui peut t'arriver dans la rue, le service à domicile cartonne», souligne le vice-président, Jesus Marcos Giacoman.

La circulation automobile, qui reste forte aux heures d'entrée et de sortie des écoles et des bureaux, est très clairsemée à la nuit tombée.

Autour de l'Université, le brouhaha habituel a laissé place au calme et au silence. «Il y a un café Starbucks et de nombreux restaurants, mais ils sont vides», témoigne Nayhelli Garcia, 19 ans, étudiante en relations internationales.

Le Nuevo Leon est l'un des six États mexicains bordant les 3000 km de frontière avec les États-Unis, où se concentre la guerre sanglante entre cartels pour l'approvisionnement de l'énorme marché américain de la drogue.

Bilan: plus de 15 000 morts pour l'ensemble du Mexique ces trois dernières années, malgré le déploiement de 50 000 militaires en renfort de la police, et une intensification de la coopération avec les services de sécurité des États-Unis, confirmée encore par la secrétaire d'État Hillary Clinton mardi dernier à Mexico.