Alors que les vols reprennent au-dessus de l'Europe du Nord, les ingénieurs aéronautiques, les vulcanologues et les climatologues relancent les discussions sur des appareils et des normes qui permettront de mieux évaluer les risques des cendres volcaniques pour les avions. Le point sur un domaine scientifique qui était jusqu'à maintenant trop pointu pour attirer du financement.

L'éruption volcanique islandaise qui a immobilisé le transport aérien européen et transatlantique pendant une semaine a eu quelques rares effets positifs. Parmi les bénéficiaires de la crise, on trouve les chercheurs qui planchent depuis deux décennies sur la détection et les effets des cendres volcaniques.

 

«Voilà seulement un mois, nous avons eu une rencontre sur le sujet à Santiago au Chili, et un représentant d'un constructeur d'avions a continué à nous dire qu'il ne pouvait pas nous donner des chiffres pour des raisons de confidentialité commerciale», explique Fred Prata, météorologue de l'Institut norvégien pour la recherche aérienne, qui teste, depuis 1991, un capteur qui pourrait être installé sur les avions et détecter les cendres volcaniques à la manière des radars qui détectent de la pluie ou de la neige. «Maintenant, tout débloque. J'ai une rencontre la semaine prochaine avec une transporteur aérien européen et je m'attends à ce que des pourparlers avec Air Alaska s'accélèrent.»

Les autorités régissant l'aviation civile britannique ont mis le milieu en émoi, au milieu de la semaine, en proposant un seuil de deux microgrammes par mètre cube de cendres volcaniques en deçà duquel les avions seraient autorisés à voler. Actuellement, il n'existe aucun seuil sécuritaire, ce qui signifie que dès qu'il y a de la cendre, les avions doivent éviter la région.

«Ce seuil soulève plus de questions que de réponses», commente René Servanckx, du Centre d'avis des cendres volcaniques de Montréal, qui fait partie d'un réseau international de neuf centres et est géré par Environnement Canada. «J'ai parlé à d'autres experts et nous trouvons que le seuil a été calculé à partir d'informations très partielles. De plus, ça n'enlève rien au problème que l'on a à calculer la quantité de cendres émises par un volcan. Le seuil ne veut rien dire si on ne sait pas ça, et c'est une donnée difficile à obtenir. De plus, il faut, en plus du seuil, déterminer combien de temps un avion peut passer dans un nuage de cendres.»

Selon l'hebdomadaire britannique The New Scientist, le seuil de deux microgrammes a été calculé à partir des essais de trois heures par British Airways et de données recueillies par un avion de recherche gouvernemental pendant la semaine. Des constructeurs de moteurs comme GE et Rolls-Royce auraient peut-être participé à la détermination du seuil.

M. Servanckx est lui aussi d'avis que la crise islandaise aura permis de débloquer le dossier. «Ça fait 10 ans qu'on essaie d'avoir des chiffres des constructeurs de moteurs. En une semaine, on a vu plus de chiffres que jamais auparavant.»

Fred Prata croit que «la moitié des experts estiment que le seuil de deux microgrammes que les autorités britanniques ont proposé est trop bas et l'autre moitié, qu'il est trop haut. J'ai entendu dire que GE avait fait des tests pendant les années 70 et était arrivé à un seuil 25 fois plus élevé.»

Selon l'expert norvégien, le capteur en vol pourrait être en activité d'ici quelques années. «Nous avons fait des tests en vol au Japon et dans les Mariannes. Après l'éruption du volcan Redoubt aux États-Unis en 1989, à cause de laquelle un 747 de KLM avait perdu ses quatre moteurs, Boeing était venu nous voir pour tester les capteurs. Mais les coûts de la certification étaient trop élevés. Je pense que cette fois-ci, ça va fonctionner.»

M. Prata a eu l'idée de ce capteur en 1982, alors qu'il travaillait à Perth, en Australie. «Un 747 de British Airways en direction de Perth avait perdu ses quatre moteurs en traversant un panache de cendres d'un volcan indonésien et ça avait fait toute une histoire ici. J'ai essayé de voir si on pourrait travailler les images satellites pour mieux voir les cendres. Ça m'a mené au capteur actuel.»