Les cardinaux réunis dans le huis clos de la Chapelle Sixtine sont entrés mercredi dans le vif de l'élection du successeur de Benoît XVI: une série de votes qui pourraient s'avérer rapidement décisifs sur le nom du prochain pape, alors que le choix semble se dessiner au stade actuel entre un Italien et un pape des Amériques.

Après une première fumée noire qui était prévisible mardi soir juste après l'entrée en conclave, ces votes -deux prévus le matin, deux autres l'après-midi- seront déterminants pour confirmer les forces en présence. Le cardinal de New York, Timothy Dolann, a parié sur un résultat rapide «d'ici jeudi soir», s'adressant à des paroissiens, avant d'être astreint au secret comme tous les autres 114 électeurs.

En lice, selon tous les témoignages, se trouve le cardinal archevêque de Milan, Angelo Scola, qui recueillerait des voix en Europe et aux États-Unis.

En face de lui, sont sur les rangs le cardinal Odilo Pedro Scherer, archevêque de Sao Paulo, qui aurait le soutien de la Curie, et le cardinal du Québec, Marc Ouellet, bien connu en Amérique latine et ancien «ministre» de Benoît XVI à la tête de la congrégation des évêques.

Deux Américains sont aussi cités, le capucin Sean O'Malley, réputé pour sa fermeté face au scandale pédophile à Boston, et le médiatique et brillant Dolan. Mais ces deux derniers «papabili» ont peut-être contre eux d'appartenir à la plus grande puissance politique et économique du monde.

Ces votes de mercredi doivent permettre d'évaluer si un candidat se détache et a des chances de franchir le seuil de 77 voix (les 2/3 du collège des électeurs) nécessaire pour être élu. Ou si au contraire des blocs de voix s'opposent, auquel cas des candidatures d'outsiders sont possibles.

Une épaisse fumée noire -tellement noire pour ne créer aucune confusion-, s'est amusé le père Federico Lombardi, porte-parole du Saint-Siège, s'était élevée à la fin d'un premier vote mardi soir. La foule, malgré la pluie, avait envahi la place Saint-Pierre, comme en 1978 ou en 2005. Elle était bien moins dense mercredi en début de matinée.

Les cardinaux avaient commencé la journée de mardi avec une messe solennelle à la basilique Saint-Pierre, au cours de laquelle ils ont rendu hommage à Benoît XVI et à son «pontificat lumineux», une phrase saluée par des applaudissements nourris.

Le cardinal Angelo Sodano, ancien bras droit de Jean Paul II, doyen du Sacré Collège, avait fait un sermon insistant sur la miséricorde, l'évangélisation et sur l'action internationale du Saint-Siège pour la justice et la paix.

Une homélie qui pouvait être lue comme une invitation à sortir d'une conception trop doctrinaire de la fonction papale et de redonner un lustre diplomatique perdu à l'action du Vatican dans le monde.

Quand les cardinaux, surplis blancs recouverts d'une capeline pourpre, sont entrés en procession dans la chapelle sixtine et ont posé leur main sur l'Évangile, en prêtant serment, les uns après les autres, la gravité et l'émotion étaient perceptibles, alors que l'Église est confrontée à de grandes difficultés: sécularisation massive dans les pays de tradition chrétienne, scandales de pédophilie et de corruption qui remontent sans cesse du passé, mauvaise gouvernance et intrigues à la Curie, difficultés de l'adaptation aux cultures locales, rapports tendus avec l'islam rigoriste, contestations diverses.

Sous les splendides fresques de Michel-Ange, ils devront beaucoup invoquer l'Esprit Saint pour trouver le pape qui sache répondre à tous ces problèmes à la fois.

Selon la presse italienne, le pape émérite Joseph Ratzinger, retiré dans la résidence d'été de Castel Gandolfo, au sud de Rome, a suivi par la télévision vaticane les retransmissions de ces cérémonies dont il est le grand absent.

L'élection du 266e souverain pontife mettra un point final à quatre semaines mouvementées, depuis l'annonce surprise le 11 février par Benoît XVI de sa renonciation à l'âge de 85 ans.

Depuis l'aube de mardi, les princes de l'Église sont coupés du monde, sans portables, avec interdiction absolue de communiquer au dehors. Ils ont emménagé dans la résidence Sainte-Marthe, un ancien hospice situé derrière la basilique Saint-Pierre.

Dans Repubblica, le cardinal à la retraite Paul Poupard a dit sa «nostalgie» de ne plus pouvoir être présent: en 2005, «après le long témoignage de foi et de douleur de Jean Paul II, nous étions entrés dans la Sixtine plus préparés, avec les idées plutôt claires, chacun avait eu beaucoup de temps pour se préparer.»

Cette fois c'est différent, a ajouté le prélat français,  car «les cardinaux ont dû affronter le choc de l'annonce de Benoît XVI».