Jetés à la rue il y a 8 jours par le séisme, près de 400 000 Haïtiens s'entassent dans plus de 300 camps dispersés dans Port-au-Prince. Les conditions de vie y sont inhumaines et l'aide internationale y est encore invisible. La Presse a passé une journée dans l'un d'eux et une nuit à Port-au-Prince.

Il est 9h. Notre chauffeur, Alix, gare son vieux tacot en bordure d'une rue de Pétionville, dans la capitale. «Il y en a un là, derrière ce mur», murmure-t-il en montrant du doigt l'enceinte d'un stade de football. Dans une fosse profonde de quelques mètres, sur la presque totalité du terrain de terre battue, on voit des centaines de tentes bricolées à l'aide de draps, de tissus, de bâches et de toiles.

Si certains grands sites comme la place du Champ-de-Mars, la place Boyer ou la place Saint-Pierre sont connus de tous ici, les petits camps de réfugiés anonymes, comme celui du parc Sainte-Thérèse, sont complètement coupés du monde.

Du moins invisibles aux yeux des autorités et de l'aide internationale.

Plus de 3000 personnes y vivent depuis 8 jours.

Y survivent, plutôt.

La moitié sont des enfants.

Dès qu'on pose le pied sur le terrain poussiéreux, l'odeur d'urine, d'excréments et de déchets prend au nez. Deux enfants se pourchassent à vélo et passent devant deux hommes, qui déposent à la pelle dans une brouette de métal des ordures enlevées d'une montagne d'immondices. Ils essaient de garder l'endroit propre. Et de conserver un minimum de dignité.

Des vêtements et des draps sont suspendus sur les clôtures qui ceignent le terrain.

Depuis la catastrophe, les sinistrés se disent abandonnés. Ils n'ont reçu qu'une cargaison de tapis et de couvertures. La situation en fait rager plusieurs. «Les ONG aident les gens dans les grands campements, mais pas nous», vocifère Frésil Jean-Maxime. «On a faim, on a soif, on ne peut plus continuer à vivre ainsi !» enchaîne Merci Dieu Noël.

Impossible de marcher dans ce camp sans se faire assaillir par des sinistrés désireux d'exprimer leurs frustrations. Tous ont une histoire d'horreur à raconter, faite de morts et de blessés. «Il est temps que la communauté internationale comprenne que l'heure n'est plus aux paroles, mais à l'action !» peste Merci Dieu Noël.

Après la pluie, la boue

Sous les tentes, les gens s'organisent avec peu de moyens. Des patates sont en train de frire dans une casserole sous un abri, près de trois enfants assis sur des morceaux de carton. Calepin en main, un homme dit s'occuper du recensement. «On aimerait aussi creuser une fosse pour les déchets. On est en contact avec des ONG, mais il n'y a aucune action concrète pour l'instant», soupire Samedi Sandre.

À l'ombre d'un drap suspendu, un bébé de 6 semaines, Louis Israël, dort recroquevillé. Il ne semble pas incommodé par les nombreuses mouches sur son visage. «La pluie passe à travers nos draps. Il fait froid», déplore sa mère, Gherlin Maurilus.

La pluie de la nuit dernière a d'ailleurs transformé le terrain en mer de boue. Plusieurs ont dû fuir leurs abris pour se réfugier contre les murs de 10 m qui entourent le stade.

Malgré ces conditions misérables, plusieurs femmes passent le balai devant leur abri.

Au bout du camp, une génératrice recharge des dizaines de téléphones cellulaires posés par terre.

Tout près, deux morceaux de tôle appuyés l'un sur l'autre forment une sorte de paravent. Un trou a été creusé dans le sol. Ce sont les seules latrines. Des nuées de mouches tourbillonnent au-dessus de l'endroit, d'où s'échappe une odeur immonde.

Seuls contre les pillards

Sous une tente à proximité, quelques femmes en veillent une autre, étendue, les mains jointes, sur une chaise longue. Immobile. Elle aurait 109 ans et est aveugle, expliquent ses proches. «Elle est traumatisée, elle ne comprend pas vraiment ce qui s'est passé», raconte Aïs Béamy, 17 ans. Ces femmes se disent sans défense pour assurer leur protection dans le camp. Surtout la nuit. «Mercredi soir, des gens qui n'avaient pas de tapis sont venus avec des couteaux pour voler les nôtres. Nous avons réussi à les en empêcher. La tension est forte le soir, il n'y a pas de sécurité», dénonce Aïs Béamy. «Des gens font des rondes la nuit pour se défendre contre les pillards», assure Vladimir Desimil, qui habite un peu plus loin avec deux familles sous une tente exiguë. «On n'a pas d'arme, mais on a nos poings», prévient-il.

À midi, le soleil force les sinistrés à trouver refuge sous leurs tentes ou à l'ombre des quelques arbres. Dans des marmites mijotent des pâtes, du riz, des saucisses.

Au milieu d'une rangée de tentes, une femme réprimande un bambin avant de le gifler violemment. L'enfant hurle. Ses cris ne font que s'ajouter à la cacophonie ambiante.

En après-midi, des hommes creusent des trous à l'aide de pioches pour installer de nouvelles tentes. D'autres familles débarquent. Le camp affiche presque complet. Les enfants utilisent la petite surface près des montagnes de déchets pour jouer au soccer.

Au moment où nous nous apprêtons à partir, un enfant haut comme trois pommes nous barre la route. «J'ai faim!» lance-t-il avec aplomb.