Les conflits sur l'immigration sont souvent associés aux états qui longent le Mexique. Mais les travailleurs illégaux déchaînent les passions aux quatre coins des États-Unis, et même dans les collines bucoliques du nord-est de la Pennsylvanie.

Au bord du chemin de campagne qui mène vers Clarks Summit, patelin au nord de la ville de Scranton, des étals de fortune ploient sous le poids de grosses citrouilles. Mais en cette fraîche matinée d'automne, Keith Eckel n'a pas le coeur à célébrer la fin des récoltes.

 

Avec sa casquette noire ornée de fruits rouges, Keith Eckel est le plus gros producteur de tomates du nord-est des États-Unis. En temps normal, cet agriculteur de 61 ans en vend plus de 220 000 caisses.

Mais, pour la première fois depuis que son père a acheté la ferme familiale, en 1949, il n'a pas planté de tomates le printemps dernier. De hautes herbes foisonnent maintenant sur les terres en friche autour de ses bâtiments de ferme.

Pourtant, la passion de cet agriculteur est intacte lorsqu'il explique le nettoyage, le tri et l'empaquetage de ses fameuses tomates «mountain fresh» devant ses convoyeurs qui s'empoussièrent.

«Cultiver des tomates, c'est ma vie», dit cet agriculteur dans son bureau, un capharnaüm qui ressemble à une boutique de brocanteur.

Keith Eckel a repoussé sa décision pendant des mois. Et il a perdu des nuits de sommeil avant de s'y résigner, raconte-t-il. Mais, sans ouvriers agricoles en nombre suffisant, il n'arriverait pas à récolter ses fruits à temps. Plutôt que de voir des tomates pourrir dans ses champs, il a préféré annuler sa saison.

«L'an dernier, j'avais seulement la moitié des 110 employés dont j'avais besoin, raconte ce fermier. Nous avons fini de justesse parce que la météo a coopéré! Mais cette année, je ne voulais plus jouer avec le feu.»

Hostile aux immigrants

La région de Scranton ville d'origine du sénateur Joe Biden s'est construite au XIXe siècle avec des immigrants européens venus profiter du boom du charbon. Mais aujourd'hui, les nouveaux arrivants hésitent à s'établir ici.

Des agents du Immigration&Customs Enforcement érigent des barrages routiers pour contrôler les papiers. Des municipalités sont inhospitalières, voire hostiles aux immigrants.

C'est le cas de Hazleton, ville de 31 000 habitants à une heure au sud de Scranton. Hazleton a adopté en 2006 un règlement pour chasser les immigrants illégaux de son territoire. Toute entreprise qui leur offrait un emploi pouvait perdre son permis d'exploitation. Tout propriétaire qui leur louait un logement s'exposait à une amende de 1000$ par sans-papiers.

Une cour fédérale a invalidé en 2007 ce règlement inconstitutionnel. Ce débat a enflammé les passions. Et les incidents se multiplient dans la région.

L'été dernier, Luis Ramirez a succombé à ses blessures après avoir été battu par quatre adolescents ivres à Shenandoah, au sud de Hazleton. Entré illégalement au pays, ce Mexicain de 25 ans travaillait depuis six ans comme ouvrier agricole.

«Avec les règlements municipaux discriminatoires, les discours incendiaires et les attaques, les Latino-Américains ne se sentent plus bienvenus ici», dit Andrea Morató-Lara, vice-présidente de l'Association des organisations latinos de Pennsylvanie.

Ces immigrants sont victimes d'un préjugé tenace: ils voleraient les emplois des Américains! «Je peux assurer qu'il n'y a plus personne ici qui veut cueillir mes tomates», rétorque toutefois Keith Eckel.

Politique inhumaine

Croisé dans les quartiers déserts des ouvriers agricoles, Bronson Toney, l'un des derniers employés saisonnier d'Eckel Farms, ne comprend pas pourquoi. «Moi, c'est ce qui me tient en forme», dit cet homme de 73 ans, qui a fait le voyage de la Floride comme il le fait chaque année depuis 38 ans! Avec son chapeau melon blanc qui contraste avec sa peau d'ébène, Bronson Toney est toutefois une espèce en voie de disparition.

Keith Eckel a calculé qu'il versait 16 dollars de l'heure en moyenne à ses ouvriers. Mais pour les gagner, il faut cueillir, à la chaleur d'août et de septembre, 30 gros paniers de tomates par heure! «Ce n'est pas de l'argent facile», dit-il.

Pour cet agriculteur, il est urgent de réformer la politique d'immigration des États-Unis, pour laisser entrer plus de travailleurs honnêtes, tout en sachant mieux qui ils sont et où ils vont. «S'il n'y a pas une réforme, dit Keith Eckel, c'est toute l'industrie des fruits et des légumes frais qui va mourir.»

Cette réforme répond aussi à des impératifs moraux. «Il est inhumain de séparer les familles ou de laisser des gens risquer leur vie pour traverser une frontière», dit-il.

Keith Eckel sait que sa cause n'est pas gagnée. Cet homme qui se définit comme un républicain conservateur des photos dédicacées de lui en compagnie des présidents Ronald Reagan, George Bush père et fils sont accrochées au mur de son bureau devra se battre contre une large faction de son parti.

L'agriculteur espère néanmoins que le prochain président usera de son capital politique pour réformer l'immigration. Il y a urgence, croit-il. Pour les États-Unis comme pour lui. «Plus le temps passe, plus je risque de perdre mes clients, dit-il. Si la réforme tarde, ce n'est pas seulement ma saison qui sera foutue.»

Keith Eckel repousse toute décision sur l'avenir de l'entreprise pour ne pas chagriner sa mère de 89 ans, qui vit à côté de la ferme. Mais en regardant sa machinerie et ses tracteurs sagement garés dans le hangar qui servait à mûrir ses tomates, il soupire.

«Je vais sans doute devoir les vendre», dit-il.

La position des candidats

Barack Obama et John McCain : Les politiques en immigration des deux candidats à la présidence sont frappantes de similitudes. Pour les deux sénateurs, la priorité est d'assurer l'étanchéité des Etats-Unis, en donnant plus de moyens aux gardes frontaliers. Les deux candidats comptent aussi réprimander plus sévèrement les employeurs qui embauchent des immigrants illégaux, tout en leur facilitant la vérification du statut des employés pressentis. En complément, ils veulent favoriser l'entrée de la main-d'oeuvre recherchée par les employeurs. Les deux veulent donner aux sans-papiers qui vivent aux États-Unis l'occasion de régulariser leur statut. Mais cette «amnistie» n'est pas inconditionnelle. Ces illégaux devront régler leurs amendes et taxes impayées, apprendre l'anglais et retourner à la fin de la queue avec leur demande de citoyenneté. Enfin, les deux hommes comptent humaniser le système en favorisant la réunification des familles.

Une réforme enlisée dans la controverse

Le président George Bush a voulu réformer la vieille politique d'immigration des États-Unis en créant un programme qui permettrait aux travailleurs étrangers de venir temporairement au pays pour combler des postes inoccupés.

Mais, à la fin de 2005, le président n'avait déjà plus d'ascendant sur les républicains de la Chambre des représentants, qui ont rejeté son plan. Ceux-ci sont même allés plus loin en proposant de déporter les sans-papiers et de criminaliser toute aide à leur endroit. Ces mesures ont suscité de vives protestations, à preuve les grandes manifs organisées partout aux États-Unis au printemps de 2006.

Depuis, tous les efforts bipartites pour réformer la politique d'immigration et créer un programme d'accueil des travailleurs étrangers se sont soldés par des échecs.

Pennsylvanie

Capitale

Harrisburg

Plus grande ville

Philadelphie

Population

12 406 292

Rurale : 23%

Urbaine : 77%

Groupes raciaux et ethniques

Blancs: 84,1%

Latinos: 3,2%

Noirs: 9,8%

Anciens combattants

13,7%

Revenu médian

40 106$

Nombre de sénateurs Nombre de représentants :

12 républicains

7 démocrates

1 démocrate

1 républicain

Nombre de grands électeurs : 21

Élection de 2000

Al Gore : 51% >

GeorgesW. Bush : 46%

Élection de 2004

John Kerry : 51% >

GeorgesW. Bush : 48%