Pour mieux saisir la portée du cessez-le-feu «unilatéral» décrété par Israël à Gaza, La Presse a interrogé Sami Aoun, professeur spécialisé en questions liées au Moyen-Orient de l'Université de Sherbrooke.

Q: Quelles sont les chances de réussite du cessez-le-feu?

R: Elles sont minimes pour l'instant parce que toute décision unilatérale comporte le risque de déclencher une guerre d'usure, une guérilla de la part du Hamas. C'est de plus un cessez-le-feu de principe qui ne serait pas nécessairement appliqué parce qu'il ne prévoit pas une surveillance neutre ni de mécanisme pour l'appliquer. Une action unilatérale ne peut pas résoudre le problème en profondeur.

 

Q: Quelle est la prochaine étape?

R: Le sommet de Charm el Cheikh, qui a lieu aujourd'hui. Si l'Égypte est capable d'y faire adopter une solution négociée avec le Hamas et Israël qui prévoit une longue trêve, alors elle aura réussi son initiative et permis de trouver un arrangement politique acceptable. Un retrait avec échéancier de l'armée israélienne est le critère majeur pour évaluer ce qui se passe à Gaza.

Q: Quelles seraient les conséquences d'un échec?

R: Il pourrait plonger la région en entier dans des turbulences très fortes parce que cela enverrait le signal que ceux qui détiennent les clés de la guerre et de la paix ne sont pas les Arabes modérés: l'Égypte, la Jordanie et l'Arabie Saoudite, les trois pays qui croient à une solution négociée avec Israël. Cet affaissement du pouvoir arabe modéré permettrait au conflit de dépasser les limites de la région, et l'ordre politique arabe atteindrait un niveau de crise sans précédent.

Q: Pourquoi a Israël a-t-il décidé de décréter ce cessez-le-feu?

R: Les Israéliens ne veulent pas négocier directement avec le Hamas parce que cela lui donnerait un statut d'interlocuteur officiel. Ils préfèrent imposer un nouvel ordre de sécurité sans faire de concessions politiques. Demain, en Égypte, on saura si la «victoire» de l'armée israélienne s'est traduite en «victoire politique» ou si le Hamas, malgré ses déboires militaires, a pu les traduire par un arrangement en sa faveur.

Q: Le Hamas est-il si affaibli aux plans militaire et politique?

R: Vu les divisions arabes et dans le monde musulman, on ne peut faire de bilan-éclair. Le Hamas a gagné la guerre de l'image, le soutien de la rue. Mais il faudra voir ensuite si les critiques adressées au Hamas par quelques décideurs et leaders palestiniens, arabes et musulmans auront un impact sur les choix du peuple palestinien au moment des élections.

Q: Quel sera le rôle du Fatah? Peut-on envisager un rapprochement avec le Hamas ou, à l'inverse, une polarisation?

R: Pour l'instant, le Fatah est malheureusement très affaibli et la tendance est encore à la montée du Hamas. Au moment où les esprits sont chauffés à blanc, les voies de la modération ou de la diplomatie ne sont pas bien entendues, mais cela pourrait changer. S'il y a un accord régional et international, les Palestiniens vont constater que, même s'il y a eu un blocage diplomatique, il est moins pire que la guerre.

Q: Quels seront les répercussions de l'arrivée de Barack Obama à la Maison-Blanche pour la région?

R: On espère fortement qu'Obama pourra avancer et soumettre une initiative, mais les attentes devraient être plus modérées. Bien que l'équipe de M. Obama soit une équipe clintonienne et que Bill Clinton se soit approché de très près d'une solution possible, il y a eu des changements sur le terrain depuis Camp David. Yasser Arafat, ce chef charismatique et historique, n'est plus là, il y a un risque que la droite israélienne revienne au pouvoir avec Benjamin Nétanyahou.

Propos recueillis par Violaine Ballivy