Depuis que le président Jacob Zuma a annoncé à ces concitoyens la mort de Nelson Mandela, jeudi soir sur la chaîne SABC, le deuil national a pris la forme d'une vaste chorale populaire.

«Dans la culture xhosa, qui est celle de Mandela, les gens chantent quand ils perdent un être cher», a expliqué hier Thembela Jacqueline Ramala qui, avec ses camarades de la Ward 73 Women's League, a fait le trajet du township d'Alexandra jusqu'au quartier de Houghton, lieu de résidence du défunt père de la nation sud-africaine. «Il est notre héros. Il représente tout ce que nous sommes aujourd'hui. Il nous a donné notre indépendance. Grâce à lui, nous pouvons désormais marcher à notre guise partout», a partagé Mme Ramala, solide et souriante quinquagénaire, qui a traversé plusieurs décennies de ségrégation raciale.

Veillée funèbre improvisée

À Houghton, des centaines de représentants des médias du monde entier, de simples curieux et de nombreux citoyens sud-africains éplorés par la disparition de l'emblème de la lutte pour les droits civiques, entretenaient la veillée funèbre improvisée par des chants, des gerbes de fleurs, des pierres commémoratives et des chandelles.

Assurant l'ordre autour du périmètre de la veillée funèbre, l'escouade policière veillait au grain. «Il n'y aura pas de violence», a affirmé l'un d'entre eux.

Jacob Zuma, qui s'est rendu à Houghton en milieu d'après-midi, avait peu de mots à offrir à la horde de journalistes. Devant la maison de Mandela, Magoeng Magoeng, président de la Cour suprême, a évoqué ses propres années d'emprisonnement à la prison de Robben Island pour parler de Mandela comme «du meilleur des hommes».

Enfants, vieillards, Blancs, Noirs, musulmans ont uni leurs voix pour chanter la gloire et le legs de cette figure emblématique de la lutte pour les droits civiques. «Amandla!» («pouvoir», en xhosa et en zoulou), entonnaient les leaders de la veillée, pour évoquer les années de lutte menées par Mandela et ses camarades Tambo, Sisulu, Slovo...

Parmi les pèlerins du mémorial de Houghton, plusieurs travailleuses domestiques se sont déplacées pour honorer celui qui a donné sa vie à la lutte pour l'égalité et la fin de la ségrégation raciale qui a divisé l'Afrique du Sud, jusqu'en 1994.

Rire et pardonner

«Monsieur Mandela est une grande partie de moi. Il a changé ma vie. Jadis, les aides domestiques comme moi ne pouvaient pas adresser directement la parole à leur "madame". Mais désormais, je peux parler à ma patronne. Nous pouvons même rigoler ensemble», a exprimé avec émotion Janet Mokwena, dame dans la soixantaine originaire du Limpopo, qui était accompagnée de sa patronne irlandaise et des deux petites filles de celle-ci, pour témoigner son respect. «Il va nous manquer, mais nous n'allons jamais l'oublier. Mandela nous a appris à rire et à pardonner.»

Sandy, étudiant de 24 ans né avec la fin de l'apartheid, a traduit pour La Presse les incessants chants récités par les célébrants de la veillée funèbre de Houghton. «Ils louangent Mandela, évoquent l'histoire de l'ANC, remercient la Providence pour sa naissance et évoquent la nécessité de poursuivre son oeuvre.»

Fatima, Sakina, Saria, Shamira et Amara, cinq soeurs de confession musulmane âgées de 12 à 24 ans, ont elles aussi voulu rendre hommage à celui qui a transmis à leur génération des valeurs de liberté et de paix.

Pendant que les endeuillés se multipliaient à la veillée funèbre de Houghton, d'autres rassemblements pacifiques s'organisaient hier dans le quartier d'Orlando à Soweto et à Alexandria, deux lieux de domicile importants dans la vie de Nelson Mandela. En conférence de presse à Le Cap, l'archevêque Desmond Tutu a rendu un vibrant hommage à son ami de longue date, tout en répondant aux craintes de ceux qui prédisent le péril de l'Afrique du Sud, après la disparition de son héros national.

«Que va-t-il nous arriver, maintenant que notre père n'est plus? Certains suggèrent qu'après son départ, notre pays va partir en flammes. Telle suggestion est une disgrâce pour l'Afrique du Sud et une disgrâce pour le legs de Mandela. L'avenir n'est peut-être pas aussi reluisant qu'hier, mais la vie va continuer.»