Les journalistes et les médias américains, plutôt que de jouer leur rôle de chiens de garde, ont « trahi la nation » en contribuant à la montée en puissance d'un « démagogue ».

Le constat cinglant figure en conclusion d'un texte récent de Nicholas Kristof dans lequel le chroniqueur du New York Times se dit honteux de la manière dont il a couvert jusqu'à maintenant la campagne du favori républicain Donald Trump.

« J'ai sondé plusieurs collègues et universitaires et il existe un vaste consensus voulant que les médias aient failli », relate-t-il.

M. Kristof estime que les journalistes auraient dû chercher beaucoup plus systématiquement à contextualiser avec des faits les déclarations-chocs du magnat de l'immobilier tout en explorant en détail la portée des propositions politiques qu'il mettait de l'avant.

Cette « passivité » face aux « mensonges » proférés par Donald Trump lui a permis, note le chroniqueur, de vendre l'idée à une partie de l'électorat qu'il est un homme fiable disant tout haut ce que les autres pensent tout bas.

Le chroniqueur du New York Times reproche par ailleurs à ses pairs de ne pas avoir pris suffisamment au sérieux la campagne de l'homme d'affaires, le traitant trop longtemps comme une « blague ».

Dans la revue Fortune, le journaliste Mathew Ingram s'interroge aussi sur le rôle des médias dans l'ascension de Trump, arguant que l'étendue de la couverture accordée au candidat et le « manque de questionnement critique sur ses mensonges évidents et ses propositions racistes » l'ont favorisé.

M. Ingram s'en prend tout particulièrement aux chaînes de télévision, relevant qu'elles ont accordé un temps d'antenne disproportionné à Donald Trump dès son entrée dans la course.

La chaîne d'information continue CNN, qui a vu ses cotes d'écoute exploser, est particulièrement montrée du doigt en raison de sa couverture exhaustive du candidat. Ce qui n'empêche pas ses dirigeants de se féliciter de la manne publicitaire qui en résulte.

« LES GENS VEULENT LE VOIR »

D'autres gestionnaires de médias en font autant. Le président directeur général de CBS, Leslie Moonves, a déclaré que Donald Trump était « très bon » pour la chaîne, le priant de ne rien changer à son style même s'il n'est « peut-être pas bon pour l'Amérique ».

« C'est certainement un candidat qui attire l'attention. Que les gens l'aiment ou le détestent, ils veulent le voir », relève M. Kondik, qui ne partage pas l'idée que les médias se sont montrés trop complaisants à son égard.

Le politicien, note l'analyste, « change constamment de position » et dit « tellement de mensonges qu'il est difficile de suivre le rythme ». Le temps d'apporter les précisions sur un sujet, Donald Trump est déjà rendu ailleurs, les polémiques se succédant à haute vitesse.

Jack Shafer, du site Politico, souligne dans une récente analyse que l'homme d'affaires bénéficiait d'une notoriété plus importante que celle des autres candidats avant la campagne et que les médias, par leur couverture, se sont fait l'écho de la fascination qu'il exerce sur le public.

« Si le public n'avait pas répondu au phénomène Trump, il aurait été rapidement relégué aux débats des candidats secondaires » et serait sorti de la course, écrit-il.

Nicholas Kristof, dans sa chronique en forme de mea-culpa, dénonce le fait que nombre de journalistes n'ont pas compris que les prises de position radicales du candidat risquaient de trouver un écho favorable dans un segment désabusé de la population américaine. Une cécité qu'il attribue en partie au fait que les membres des médias « vivent dans la classe moyenne » et ne couvrent pas correctement « l'Amérique qui souffre ».

M. Kondik note que peu de gens avaient pressenti que la désaffection d'une partie de l'électorat républicain envers l'élite du parti favoriserait l'émergence d'un candidat aussi radical.

« Il n'a pas été pris au sérieux initialement et il ne méritait pas de l'être parce qu'il était normal de penser qu'il n'irait pas de l'avant. On ne peut blâmer personne de s'être montré sceptique, mais beaucoup de gens sont restés sceptiques trop longtemps », conclut l'analyste.