Jim Potts n'aurait pu concevoir pire opération de propagande.

Cet ancien paramilitaire est l'un des organisateurs des manifestations de l'école Holy Cross, qui ont choqué la planète en 2001. Pendant des semaines, sur le chemin de l'école, des fillettes catholiques avaient été la cible d'injures, de pierres, de bouteilles et de ballons remplis d'urine lancés par des protestants furieux que les petites empruntent une route traversant «leur» territoire.

Des hommes masqués terrorisant des écolières: les manifs ont tourné en désastre de relations publiques pour les loyalistes du nord de Belfast.

Huit ans plus tard, pourtant, Jim Potts est satisfait. Il a obtenu ce qu'il voulait: l'érection d'un «mur de paix», conçu pour protéger les résidants des attaques sectaires, mais qui a surtout coulé dans le béton la frontière entre catholiques et protestants du secteur.

Forte carrure, cheveux ras et chaîne dorée au cou, Jim Potts, 45 ans, concède que les manifestations ont sali l'image de sa petite communauté protestante, enclavée au coeur d'Ardoyne, un des quartiers catholiques les plus durs de Belfast. Mais c'était la « seule façon de faire passer le message », plaide-t-il.

«Ça n'avait pas grand-chose à voir avec les écolières. Ce qu'il y avait derrière, c'était la menace de perdre nos maisons et nos rues au profit d'une communauté catholique beaucoup plus populeuse. Nous étions en état de siège.»

Selon lui, le mur de 12 mètres érigé en 2002 par le gouvernement britannique a permis de bloquer l'invasion. «Il nous a donné la stabilité que nous recherchions, explique-t-il. On dit que les bonnes clôtures font les bons voisins, et nous sommes d'accord.»

Tout ce bruit pour défendre une dizaine de rues. Toute cette fureur pour empêcher qu'une poignée de maisons ne tombent aux mains de l'ennemi.

«Depuis la partition de l'Irlande, le territoire a toujours été un enjeu énorme, ici», explique Chris O'Halloran, directeur du Belfast Interface Project, un organisme voué à la réconciliation des deux communautés. «L'endroit où les lignes sont tracées sur une carte a toujours été très important pour ceux qui y vivent.»

Les quelque 1000 protestants d'Ardoyne sont entourés de 7000 catholiques. «C'est une île, dit M. Potts. Un jeune m'a dit que, pour lui, vivre ici, c'était comme vivre dans une prison sans barreaux. Il ne peut marcher dans une direction ni dans l'autre. Il est prisonnier dans sa communauté.»

C'est la réalité du nord de Belfast, une zone constellée de poches de population exclusivement protestantes ou catholiques. Ici, les drapeaux britanniques et irlandais accrochés aux lampadaires marquent les territoires. Ces frontières, appelées interfaces, sont de dangereuses zones de fracture où il ne fait pas bon mettre les pieds.

«Dans le nord, il faut constamment penser aux vêtements que l'on porte. Si on se déplace d'une zone à l'autre, il faut s'assurer que les enfants n'ont pas d'uniforme scolaire ou de chandail de soccer qui pourrait les identifier», dit Rab McCallum, un travailleur communautaire du secteur. Ici, les gens voyagent avec un plan des rues gravé dans la tête. Question de survie.

L'enjeu démographique

Derrière la guerre de territoire, il y a l'enjeu démographique. La population catholique croît rapidement à Belfast. Elle gagne du terrain par rapport à la population protestante, vieillissante et en déclin.

Résultat, l'Irlande du Nord est de plus en plus verte. D'ici 10 ans, les catholiques seront aussi nombreux que les protestants. Un véritable choc pour ces derniers. Jusque-là, ils avaient toujours dominé politiquement la province, créée lors de l'accession de l'Irlande à l'indépendance, en 1921, afin de maintenir un lien entre l'île et la Grande-Bretagne.

À Ardoyne, d'un côté du mur, de grandes familles catholiques s'entassent dans des maisons collées les unes sur les autres. De l'autre côté, il y a des terrains vagues où Jim Potts rêve de bâtir de nouvelles maisons. Soixante ont déjà été construites. « Nous les avons placées tout près du mur pour montrer que c'est notre territoire et que nous avons le droit de vivre ici. »

Mais plusieurs maisons neuves restent vides. Rares sont les familles protestantes intéressées à vivre au coeur d'un repaire républicain. Pendant les troubles, Ardoyne a été le théâtre d'exodes massifs et de sanglantes batailles de rue. Aujourd'hui, il y a encore des émeutes et des attaques sectaires. Et, parfois, des gens se font tuer pour s'être aventurés du mauvais côté de la frontière.

Pendant que le secteur protestant se dépeuple, du côté catholique, il n'est pas rare de voir trois générations partager de petits appartements. Les parcs se raréfient et les listes d'attente pour les logements sociaux s'allongent. Pourtant, il serait impensable que des familles catholiques emménagent dans les nouvelles maisons de l'autre côté du mur. Alors, elles restent vides.

«La population ne cesse de croître, mais avec ce mur, il n'y a pas d'expansion possible à Ardoyne, déplore M. McCallum, natif du quartier. L'endroit est étouffant, il n'y a pas d'espaces verts, il n'y a rien. C'est une sorte de ghetto. Et l'on sait que la densité de la population est un important facteur de criminalité.»

Plus de crimes à cause du mur? Il n'est pas certain que Jim Potts ait vraiment rendu service à sa communauté.