L'armée a pris la parole pour la première fois lundi en Tunisie, s'affichant en «garante de la Révolution» et promettant de respecter la Constitution, alors que grévistes et manifestants ont à nouveau exigé par milliers dans la rue la démission du gouvernement de transition.

«L'armée nationale se porte garante de la Révolution. L'armée a protégé et protège le peuple et le pays», a déclaré le chef d'état-major de l'armée de terre, le général Rachid Ammar, lors d'une intervention improvisée devant des centaines de manifestants devant la mairie, dans le quartier de la Kasbah, siège du pouvoir politique à Tunis.

«Nous sommes fidèles à la Constitution du pays. Nous ne sortirons pas de ce cadre», a ajouté le général, inconnu jusqu'à ce qu'il refuse de faire tirer sur des manifestants de la «révolution du jasmin» comme le lui demandait le président déchu, et qui jouit désormais d'une immense popularité en Tunisie.

Le chef d'état-major a appelé les manifestants, dont beaucoup de jeunes issus des provinces déshéritées et rebelles du centre du pays, à lever le siège des bureaux du premier ministre, qu'ils ont entamé dimanche et poursuivi lundi, défiant le couvre-feu.

«Vos demandes sont légitimes. Mais j'aimerais que cette place se vide, pour que le gouvernement travaille, ce gouvernement ou un autre», a-t-il poursuivi, évitant d'apporter un soutien trop explicite au gouvernement de transition, mais mettant en garde la foule: «le vide engendre la terreur, qui engendre la dictature».

Les manifestants qui exigent depuis une semaine la démission du gouvernement d'union nationale, en raison de la présence controversée dans ses rangs de caciques de l'ancien régime Ben Ali, ont vu à nouveau leurs rangs grossir.

De quelques centaines à l'aube, ils sont devenus à nouveau des milliers - «entre 3 000 et 5 000» selon un militaire - dans l'après-midi à protester sur l'esplanade de la Kasbah, près du palais où travaille le premier ministre Mohammed Ghannouchi.

«La Kasbah, c'est la Bastille de la Tunisie et on va la démonter, comme les sans-culottes français ont fait tomber la Bastille en 1789», promettait un manifestant. Des heurts ont brièvement opposé jeunes et policiers anti-émeute sur l'esplanade dans la matinée.

D'autres cortèges ont défilé avenue Habib Bourguiba, l'artère principale de la capitale, preuve que l'essouflement de la contestation populaire, sur laquelle tablait le gouvernement, ne s'est pas produite.

Ses efforts pour remettre le pays sur les rails ont d'entrée été plombés par une «grève illimitée» des instituteurs réclamant eux aussi le départ des anciens ministres de M. Ben Ali, en ce jour de reprise officielle des cours dans les maternelles, le primaire et pour les lycéens de classe terminale.

«Selon nos informations, le mouvement est suivi à 90-100% dans tout le pays. Il n'y a que quelques rares cas d'enseignants non-grévistes», a assuré à l'AFP le secrétaire général du Syndicat national des enseignants du primaire, Hfayed Hfayed.

Cette grève a provoqué la grogne de nombreux parents. «On prend nos gosses en otages», s'emportait Lamia Bouassida devant l'école primaire de la rue de Marseille à Tunis.

Le propriétaire de la très populaire chaîne télévisée Hannibal, Larbi Nasra, présenté comme un proche de l'entourage de Ben Ali, a annoncé lundi sa libération sur sa propre antenne, disant qu'aucune accusation ne pesait plus sur lui.

Dimanche, une source officielle avait annoncé son arrestation pour «haute trahison», affirmant qu'il travaillait «au retour du dictateur Ben Ali».

À l'étranger, le président français Nicolas Sarkozy, très critiqué pour sa réserve lors de la «révolution du jasmin», a reconnu que la France n'avait «pas pris la juste mesure» de la situation.

«Derrière l'émancipation des femmes, l'effort d'éducation et de formation, le dynamisme économique, l'émergence d'une classe moyenne, il y avait une désespérance, une souffrance, un sentiment d'étouffement dont, il nous faut le reconnaître, nous n'avions pas pris la juste mesure», a-t-il reconnu.

Dans le même temps, la justice française a annoncé avoir ouvert une enquête sur les biens en France de l'ex-président tunisien et de son entourage à la suite d'une plainte pour corruption de trois organisations non gouvernementales.

Selon les plaignants, qui s'appuient sur des informations de presse, la fortune de l'ex-président et de son entourage est estimée à environ 5 milliards de dollars.

La «révolution du jasmin» a donné une «leçon» à l'Union européenne et aux États-Unis sur leurs rapports avec des dictatures, a pour sa part estimé le directeur général de Human Rights Watch, Kenneth Roth.

«Nous avons été particulièrement déçus par la réaction de la France», qui «n'a appuyé les manifestants que quand le président Zine el-Abidine Ben Ali était pratiquement sur le départ», a-t-il critiqué, jugeant que les États-Unis, dont le président Barack Obama a pris «clairement le parti de la démocratie» ont «été meilleurs».