La question a été éclipsée par les attentats du marathon de Boston, mais elle risque de revenir d'actualité à l'occasion des élections de 2014 ou de la prochaine tuerie de masse aux États-Unis. Comment une mesure sur les armes à feu recueillant l'appui d'environ 90% du public peut-elle être rejetée par le Sénat américain, et ce, quatre mois seulement après l'électrochoc de Newtown?

Cette question s'est posée mercredi dernier après le vote de la Chambre haute sur un amendement qui aurait imposé des vérifications d'antécédents judiciaires et psychiatriques avant les achats d'armes sur l'internet et dans les foires spécialisées. Une majorité de 60 voix sur 100 était nécessaire pour assurer le passage du texte. Celui-ci n'en a recueilli que 54 (quatre démocrates ont fait défection).

Ce résultat représentait un échec cuisant pour Barack Obama, qui avait lancé, au lendemain du massacre de 20 enfants à l'école Sandy Hook, la première campagne de sa présidence pour un contrôle accru des armes à feu. Deux autres mesures dont il s'était fait le promoteur - l'interdiction d'armes semi-automatiques et des chargeurs pouvant contenir plus de 10 cartouches - ont également été défaites.

Furieux après le rejet par le Sénat d'un texte édulcoré par rapport à la première version, le président a accusé «le lobby des armes et ses alliés» d'avoir «volontairement menti à propos de cette loi».

Il a de plus enjoint les Américains à se mobiliser en vue des élections de 2014, dites de mi-mandat, qui mettront en jeu le tiers des sièges du Sénat et l'ensemble des 435 sièges de la Chambre des représentants. Deux autres partisans d'une réforme des lois sur les armes, le maire de New York Michael Bloomberg et l'ex-représentante de l'Arizona Gabrielle Giffords, ont également évoqué une revanche électorale après le vote du Sénat.

«Notre coalition grandissante de supporteurs oeuvrera pour s'assurer que les électeurs n'oublieront pas», a déclaré le maire Bloomberg, qui avait investi 12 millions de dollars dans une campagne publicitaire qui visait à influencer une dizaine de sénateurs à la veille du vote sur les armes à feu.

Des militants proactifs

La stratégie de la revanche électorale pourrait cependant se retourner contre les partisans du contrôle des armes.

En montrant du doigt le «lobby des armes et ses alliés» au Congrès, Barack Obama a occulté une partie importante de l'équation qui a mené au résultat du vote de mercredi dernier: les électeurs. Certes, la National Rifle Association (NRA) dépense beaucoup d'argent pour influencer les membres du Sénat et de la Chambre. Mais son succès tient à un autre facteur indéniable: les propriétaires d'armes demeurent beaucoup plus enclins à défendre leur cause que ne le sont les partisans du contrôle des armes.

Selon un sondage Washington Post/ABC News publié le 16 avril, un propriétaire d'armes sur cinq a contacté un élu par téléphone, lettre ou courriel pour exprimer son opinion sur les armes à feu. Au sein des foyers qui ne possèdent pas d'armes, seule une personne sur 10 a fait la même chose.

Les militants proarmes - ceux qui ont contacté un élu ou donné de l'argent à une organisation engagée dans cette cause - sont aussi plus nombreux que les autres à exclure la possibilité de voter pour un candidat qui ne partage pas leurs opinions sur cette question, selon le sondage.

Cette dynamique est particulièrement importante au Parti républicain, où plusieurs élus craignent d'avoir à affronter des candidats encore plus conservateurs qu'eux dans le cadre de primaires. Elle explique aussi pourquoi quatre sénateurs démocrates issus d'États conservateurs ont refusé de voter pour l'extension des vérifications des antécédents avant l'achat d'armes à feu.

Il se trouve que trois de ces quatre démocrates devront défendre leur siège en 2014. Si Michael Bloomberg et ses alliés mettent leurs menaces à exécution, ils seront la cible de pubs télévisées critiquant leur vote de mercredi dernier. Le but des partisans d'un contrôle accru des armes à feu sera de les remplacer par des candidats démocrates qui oseront défier la NRA et ses alliés.

Or, dans des États comme le Montana, l'Arkansas et l'Alaska, une telle stratégie pourrait aider les candidats républicains à ravir des sièges aux démocrates et à mettre en péril leur majorité au Sénat.

Cela dit, une autre fusillade pourrait bien changer la donne politique d'ici novembre 2014.