Quelque 17 millions d'Afghans étaient invités à se rendre aux urnes hier pour le deuxième scrutin présidentiel de l'histoire du pays. Malgré les menaces des talibans et des violences qui ont fait une cinquantaine de morts, aucun incident majeur n'a perturbé le déroulement de l'élection. Les responsables, ONU et OTAN en tête, se sont félicités du succès de la journée. Mais les bureaux de vote étaient loin d'être débordés. Et des allégations de fraude planent sur l'ensemble du processus.

Officiellement, tout s'est bien passé, les violences sporadiques n'ont fait qu'une cinquantaine de morts et le taux de participation au vote avoisine 50%.

Mais officieusement, des journalistes et observateurs postés sur le terrain parlent de bureaux de scrutin déserts et d'un nombre d'électeurs parfois famélique.

Des informations contradictoires émergeaient, hier, à l'issue du scrutin au cours duquel 17 millions d'électeurs afghans étaient appelés à élire leur président et leurs représentants à des conseils provinciaux.

Chez les optimistes, on retrouve le président sortant Hamid Karzaï: «C'était une très bonne journée, le peuple afghan a défié les roquettes, les intimidations et les bombes», s'est-il félicité.

«Le vote a été clairement transparent», a dit Richard C. Holbrooke, émissaire américain pour l'Afghanistan et le Pakistan. Des sons de cloche semblables émanaient de l'ONU et de l'OTAN.

Mais cet optimisme était tempéré par des témoignages recueillis sur le terrain, hier. Exception faite du nord du pays, la participation au vote est très basse, constate Jean McKenzie, responsable du bureau du Institute for War and Peace Reporting à Kaboul.

Cette organisation a des correspondants locaux un peu partout en Afghanistan. «Peu de gens ont voté dans la province de Helmand, dans le Sud. Dans un bureau, on attendait 4200 électeurs. Plus de trois heures après l'ouverture, il n'en était venu que 83», raconte Mme McKenzie. À Kandahar, une ville de plus 700 000 habitants, on a recensé 40 000 bulletins de vote. «C'est très peu», estime Mme McKenzie.

«Il est impossible d'estimer avec précision le taux de participation, mais je serais extrêmement choquée d'apprendre qu'il était de 50 %. Car ça ne pourrait signifier qu'une chose: la présence massive de fraude», dit-elle.

L'observateur québécois Jacques Paquette a passé la journée entre une dizaine de bureaux de vote de Jalalabad. «Le vote a commencé à 7 h, mais les électeurs n'ont commencé à arriver qu'à 10 h, et il y avait très peu de femmes», dit-il. Dans certains des bureaux de scrutin de Jalalabad, moins de 30% des électeurs ont exercé leur droit de vote.

La Commission électorale indépendante de l'Afghanistan a décidé hier de rallonger d'une heure la période de votation. Mais au bureau où M. Paquette devait surveiller le décompte des voix, ce n'était pas nécessaire: il n'y avait plus un chat.

En raison de consignes de sécurité, l'observateur québécois craignait de ne pas pouvoir rester jusqu'à la fin du dépouillement des voix. Mais il s'inquiétait pour rien: les 181 bulletins de vote ont été vite comptés.

Même Kaboul a échappé à la fièvre électorale. Les rues de la capitale étaient désertes. Le Canadien Grant Kippen, qui préside la Commission des plaintes électorales (il en a recueilli une centaine hier), a passé la journée dans un bureau en face d'un lieu de vote. «Je n'y ai jamais vu de gens faire la queue.»

Violences sporadiques

Plus d'une cinquantaine de personnes ont perdu la vie hier dans une série d'explosions de violence, qui ont épargné la majorité des bureaux de vote. À l'échelle afghane, c'est un succès.

Ainsi, plus de 20 roquettes sont tombées dans la capitale de la province de Helmand, Lashkar Gah. L'une d'entre elles a atterri sur une file d'électeurs et a tué un enfant.

À Kandahar, les insurgés ont pendu deux personnes qui avaient les doigts tachés d'encre, signe qu'ils étaient allés voter. À Kaboul, la journée a été marquée par une longue fusillade qui a coûté la vie à deux insurgés.

Au total, le gouvernement a recensé 135 attaques d'insurgés qui ont coûté la vie à 26 civils et policiers afghans, et à une trentaine d'insurgés. Mais les autorités assurent que 95 % des bureaux de vote ont pu fonctionner normalement.

Et dans ces bureaux, il y avait des gens convaincus de faire un geste important pour leur avenir. Selon Jean McKenzie, ceux qui s'étaient déplacés pour voter se montraient très optimistes. Ils disaient des choses comme: «Je veux changer la destinée de mon pays.»