Le président Mohamed Morsi, qui traverse la plus importante crise politique de l'ère post-Moubarak, a décidé d'appeler l'armée à la rescousse. Dans les rues du Caire, l'annonce n'a fait que jeter de l'huile sur le feu, ont pu constater nos envoyés spéciaux.

Au bout d'une rue, trois soldats en treillis soudent une barricade fabriquée avec des conteneurs des Nations unies. Dix mètres plus loin, quatre chars d'assaut pointent leur canon vers cette barricade. À leur droite, une cinquantaine de soldats en habit noir attendent les ordres.

> En images

Hier, les militaires égyptiens s'affairaient autour du palais présidentiel, théâtre la semaine dernière de violents affrontements entre des milliers d'opposants au président Mohamed Morsi et autant de partisans.

Aujourd'hui, les deux camps, toujours à cran, ont promis de continuer les hostilités. L'armée, que le président vient d'appeler à la rescousse, a le droit de s'interposer. Selon un décret présidentiel entré en vigueur hier, les militaires ont le mandat de protéger les institutions étatiques avant et après la tenue du référendum qui aura lieu le 15 décembre. Ce vote, soutenu par les islamistes et décrié par les partis de l'opposition, est au coeur du tumulte depuis deux semaines.

Confiance trahie

Mohammed Asi, médecin résident de 24 ans, qui se tient à quelques mètres des barricades, ne pourrait être plus sceptique. «Les militaires répètent qu'ils vont nous protéger, qu'ils ne laisseront pas les manifestants pro-régime entrer dans l'enceinte du palais présidentiel demain. Mais je ne les crois plus», laisse tomber le jeune homme, qui se réclame de la mouvance socialiste.

Le jeune médecin a encore des souvenirs vivaces du 2 février 2011, pendant la révolution. Ce jour-là, des fiers-à-bras du régime d'Hosni Moubarak ont chargé la foule à dos de chameau. «Les militaires avaient promis de nous protéger, mais ils leur ont ouvert les portes toutes grandes», raconte M. Asi, qui travaillait dans un des hôpitaux de fortune de la place Tahrir. Onze personnes sont mortes, dont plusieurs dans ses bras. Plus de 600 autres ont été blessées.

La liste de récriminations du jeune médecin ne s'arrête pas là. En décembre, l'an dernier, un de ses amis proches, Alaa Abd El-Hady, a été tué d'une balle dans la tête par un militaire pendant une manifestation. «Comment voulez-vous que je leur fasse confiance?», demande le jeune homme en haussant les épaules.

Ironie de l'histoire, il devra intégrer l'an prochain l'équipe médicale de l'armée. «C'est obligatoire. Et ça dure trois ans», dit-il en soupirant.

Démocratie militaire?

Ahmed Mahmoud, 24 ans, de Port-Saïd, ne voit pas non plus d'un bon oeil les nouveaux pouvoirs accordés à l'armée, laquelle aura notamment le droit d'arrêter des civils. «Dites-moi dans quel pays démocratique l'armée est appelée pour sécuriser un vote», dit le jeune homme, qui manifeste depuis cinq jours près du palais présidentiel.

«Il y a eu des troubles à Port-Saïd et l'armée a tenté d'intervenir. Son action a été un échec total», dit-il. Hier, ses amis et lui préféraient se «préparer» à d'éventuels affrontements pendant les manifestations d'aujourd'hui plutôt que d'attendre le secours des militaires.

Sur la place Tahrir, le nouveau rôle de l'armée n'inquiète pas autant les militants. «Je pense que c'est plutôt une bonne nouvelle pour ceux qui veulent que Mohamed Morsi parte. En faisant appel à l'armée pour contrer l'opposition, il montre sa faiblesse», raille Mustafa Shahan, commerçant de 32 ans originaire d'Alexandrie.

Chacun sa manifestation?

Fait rare sur la place qui a été le théâtre de la révolution égyptienne, un partisan des Frères musulmans - l'organisation islamiste dont Mohamed Morsi a déjà été un haut dirigeant avant de devenir président - a voulu faire entendre son opinion, malgré la présence écrasante de partisans de l'opposition.

«Je pense que l'armée n'aura pas à intervenir parce que chaque camp va manifester à des endroits différents, comme c'est le cas depuis quelques jours», a affirmé, optimiste, Mohamed Fathi, avant d'être doucement rabroué par les manifestants de la place Tahrir, surtout laïques et libéraux.

Sameh Seif al Yazal, ancien officier militaire devenu expert en matière de sécurité, croit que beaucoup d'Égyptiens ont tort de faire tout un plat du rôle de l'armée dans le référendum.

«Je ne crois pas que les militaires vont être impliqués dans les manifestations d'aujourd'hui. L'armée veut rester neutre et ne voudra pas prendre parti. Elle protégera les institutions de l'État le jour du vote», note l'expert, qui rappelle que les militaires déployés autour du palais présidentiel appartiennent à une unité spéciale, soit la garde présidentielle.

Si les choses se corsent aujourd'hui et que les manifestations tournent à l'affrontement, comme les 5 et 6 décembre, l'armée sera alors peut-être appelée à faire plus, croit-il. «Mais pour l'instant, l'idée d'une loi martiale semble de la science-fiction.»

Un point de vue que partagent peu de manifestants.