C'était la première fois, hier, qu'une élection présidentielle se tenait en Syrie depuis 50 ans. En revanche, le scrutin, organisé dans un pays déchiré par la guerre, est joué d'avance. Les Syriens ne sont pas dupes, explique notre collaborateur, qui a recueilli leurs témoignages au Liban, à la frontière syrienne.

Sur près d'un kilomètre, des rangées d'hommes se succèdent, le long de barrières dressées par l'armée libanaise. Des milliers de Syriens affluent à Masnaa, le plus grand poste-frontière entre le Liban et la Syrie.

Le régime de Bachar al-Assad a installé des bureaux de vote à Jdeidet Yabous, de l'autre côté de la frontière, pour que les Syriens au Liban puissent se rendre aux urnes. Le calme règne. Rien à voir avec la semaine dernière, lorsque les Syriens avaient voté à l'ambassade de Syrie à Beyrouth dans le chaos total.

L'étalage de nombreux portraits de Bachar al-Assad avait alors choqué une partie des électeurs. Cette fois, les portraits du président se font rares. Seul un vendeur parvient à écouler quelques drapeaux aux couleurs syriennes.

Mayssam, un réfugié vivant dans la plaine de la Bekaa, a tenu à se déplacer. «Nous voulons montrer aux puissances occidentales qui financent la rébellion et détruisent notre pays que Bachar a toujours le soutien du peuple, assure-t-il. Assad est le seul qui puisse gagner cette guerre et nous faire revenir dans notre pays rapidement. La démocratie, on s'en préoccupera quand notre pays retrouvera la paix.»

La plupart des électeurs interrogés ignorent le nom des deux autres adversaires du président. «Bachar est le plus grand des dirigeants arabes. Les autres, on n'en a jamais entendu parler. Un dicton syrien dit que l'on doit toujours se fier à ce que l'on connaît déjà. L'opposition à l'étranger a été fabriquée par les Américains, l'Arabie saoudite et la Turquie», lâche Mohammad, travailleur syrien installé au Liban venu voter.

Pressions et boycottage

Si une partie des Syriens continue de soutenir le régime, il n'est pas certain que tous soient venus voter de leur plein gré. Car même au Liban, le régime syrien dispose toujours d'alliés puissants - du Parti national socialiste syrien au Hezbollah - qui ont exercé des pressions dans certains camps de réfugiés.

Une rumeur s'est ainsi rapidement répandue: ceux qui ne voteraient pas pour Bachar al-Assad ne pourraient plus retourner en Syrie.

De son côté, le gouvernement libanais a exercé un autre type de chantage, envoyant des messages textes à tous les réfugiés enregistrés auprès des Nations unies pour leur annoncer qu'ils perdraient leur statut de réfugié s'ils franchissaient la frontière.

Sur le 1,5 million de réfugiés au Liban, environ 100 000 seulement seraient allés voter. Beaucoup ont choisi de boycotter le scrutin.

«Cette élection n'est qu'un mensonge. Même si je devais mourir, je ne donnerai jamais ma voix à un criminel qui a tué des milliers de femmes et d'enfants», s'insurge Amer, un réfugié de Deraa qui travaille dans une épicerie à Beyrouth. «Comment peut-on parler d'élection libre quand il n'existe des bureaux de vote que dans les régions prorégime?», poursuit-il.

«C'est une farce»

Le vote ne devrait se dérouler que sur 50 à 60% du territoire syrien, même si les autorités syriennes ont affirmé qu'il se tiendrait partout, sauf Raqqa, contrôlée par les djihadistes de l'EIIL (État islamique en Irak et au Levant).

«Tous ceux qui ont manifesté pacifiquement pendant des mois ont presque tous perdu des membres de leur famille tués par le régime. Comment pourraient-ils lui pardonner?», lance Nour, une étudiante syrienne installée au Liban qui a participé aux premières protestations.

Mariam, employée dans une organisation internationale à Beyrouth, revient tout juste de Damas, et elle non plus n'ira pas voter. «Les rues sont couvertes de portraits de Bachar, alors qu'il n'y a presque aucune photo des autres candidats. Les émissions de radio les tournent en permanence en dérision. C'est une farce», raconte-t-elle.

«Trois ans après la révolution, Bachar al-Assad n'a toujours pas compris qu'il existait de vraies demandes de changement et utilise la même propagande», regrette-t-elle. Les résultats du vote, prolongé de quelques heures en raison de la «forte participation», selon le régime, devraient être connus avant la fin de la semaine.

DES RIVAUX QUI SERVENT DE FAIRE-VALOIR

Le régime syrien a verrouillé d'avance les élections, en empêchant tout exilé de se présenter en exigeant que toute candidature soit parrainée par 35 députés d'un Parlement qui est totalement acquis à Bachar al-Assad. Seules 2 candidatures ont été acceptées sur les 24 postulants. Maher el Hajjar est un député d'Alep, ancien membre du Parti communiste, quasiment inconnu des Syriens. Hassan al-Nouri est lui un homme d'affaires de Damas, qui a été secrétaire d'État du gouvernement Assad entre 2000 et 2002. Tous les deux sont issus de formations de l'opposition de l'intérieur, tolérées par le pouvoir baasiste.