Dans le quartier Jabal Mohsen de Tripoli, au nord du Liban, on se croirait en plein Damas, la capitale syrienne. Ici, de nombreux habitants sont prêts à prendre les armes pour défendre le président Bachar al-Assad.

Le drapeau du pays ainsi que les portraits du dirigeant syrien et de son père, Hafez, sont sur tous les murs. Dans la vitrine d'un barbier, ils sont posés en habit militaire. Sur un immeuble à logement en béton, une affiche d'une dizaine de mètres de haut représente Bachar en complet noir, saluant une foule.

Le quartier situé sur une colline qui surplombe la ville est le fief de la communauté alaouite, une branche du chiisme, dont est issu le clan al-Assad. Les chiites croient que le gendre et cousin du prophète Mahomet, Ali, est son successeur.

Les alaouites sont minoritaires au Liban. On en compte environ 40 000 à Tripoli, selon le Parti démocratique arabe, une formation de l'opposition qui les représente. Ils sont entourés de centaines de milliers de sunnites, branche majoritaire de l'islam.

À peine sorti du taxi, le journaliste qui prend des notes et des photos se fait accoster par un jeune homme barbu, les bras couverts de symboles de l'islam chiite. «Tu ranges ta caméra! C'est la guerre ici!» La discussion n'ira pas plus loin...

L'armée monte la garde

Les chars d'assaut de l'armée libanaise montent la garde à l'entrée du quartier. Les militaires ne permettent plus de manifestations, qu'elles soient pour ou contre le régime de Bachar al-Assad.

Depuis le début de la crise en Syrie, où un mouvement d'opposition demande le départ du président, des affrontements ont eu lieu à Tripoli entre la minorité alaouite et les sunnites du quartier Bab al-Tabbaneh, au bas de la colline. La rue de Syrie sépare les communautés rivales. Au mois de juin, plusieurs personnes sont mortes dans des batailles de rue.

Sur la terrasse d'un petit café, une dizaine d'hommes discutent de la crise qui a lieu de l'autre côté de la frontière, à une quinzaine de kilomètres. «C'est l'Amérique et Israël qui appuient les terroristes qui veulent faire tomber al-Assad, dit Ahmed Oraby, 23 ans. Mais ça n'arrivera pas, parce qu'il a une grande communauté qui le soutient.»

Dans son bureau, situé dans une baraque de ciment, le vice-président du Parti démocratique arabe, Rifaat Eid, refuse de croire à la crise syrienne.

«Ce ne sont que de petits accrochages, dit le petit homme qui porte à son poignet une grosse montre avec une photo de Bachar al-Assad. J'y étais il y a quelques semaines et je connais très bien le président. Damas était très calme. Il y a seulement quelques terroristes qui assassinent des gens. Ce sont les médias qui déforment la réalité pour faire tomber al-Assad et déstabiliser l'Iran.»

Des rivières de sang

Le bâtiment est protégé par des murs hauts de trois mètres et par une dizaine d'agents habillés en civil. À l'intérieur, les cadres et les livres sont à l'effigie de Bachar al-Assad, de son père, mais aussi du chef charismatique du Hezbollah, Hassan Nasrallah.

Même si selon lui, tout va bien en Syrie, M. Eid redoute qu'une guerre civile éclate. Il croit que le conflit se répandrait dans toute la région du Moyen-Orient. «On est très inquiets. J'ai peur qu'une grosse guerre explose. Le Liban sera le premier à en subir les conséquences. Tripoli sera comme Kandahar ou Tora Bora en Afghanistan. Il y aura des rivières de sang.»

Si la crise syrienne traversait la frontière, Rifaat Eid avance qu'il n'hésiterait pas à prendre les armes. «Tout le monde se prépare à une nouvelle guerre. Au Liban, nous sommes toujours prêts à nous battre, dit-il calmement, la voix posée. Nous sommes prêts à donner notre vie pour le président. Mais nous n'irons pas nous battre en Syrie. Nous préférons mourir ici, à Tripoli.»