Une militarisation de la révolte en Syrie, idée véhiculée par une poignée d'opposants au régime de Bachar al-Assad, mènerait inéluctablement à une guerre civile, préviennent des experts.

«Pour l'instant, la majorité des manifestants veulent que le mouvement reste pacifique, mais après tous ces mois de répression, il y a un risque de militarisation», affirme Agnès Levallois, experte du Moyen-Orient.

«Le recours aux armes peut absolument mener à une guerre civile. S'il y a militarisation, plus personne ne pourra rien contrôler», prévient-elle.

Des appels ont été lancés dans la presse, les réseaux sociaux et les manifestations en faveur d'une «révolution armée» mais aussi d'une intervention militaire étrangère comme en Libye.

Lundi, les États-Unis ont jugé que l'apparition d'actes armés contre le régime serait normale, tout en saluant la «retenue extraordinaire» de l'opposition syrienne face à la répression sanglante qui a fait jusqu'à présent, selon l'ONU, plus de 2700 morts.

Mais les experts et des leaders de la révolte mettent en garde contre ce «piège».

«Le régime fait tout ce qu'il peut pour pousser à l'armement des manifestants. C'est évident que (ce scénario) lui donnera des arguments plus forts pour réprimer encore plus et un avantage évident puisqu'il a plus d'armes», explique Mme Levallois. «La majorité des manifestants ne veulent pas tomber dans ce piège».

Pour Omar Idlebi, représentant des Coordination des comités locaux (LCC) qui animent le mouvement de contestation et réfugié au Liban depuis juin, une militarisation déchirera le pays.

«Face à la recrudescence des tueries, des arrestations et des tortures, les voix appelant à la militarisation commencent à être entendues», reconnaît-il. Mais «si la révolution s'écarte de son parcours pacifique (...), elle sera vidée de son sens».

Selon lui, un conflit armé prendrait de plus une ampleur confessionnelle. Le régime de Bachar al-Assad est issu de la minorité alaouite (branche du chiisme) qui vit en bonne intelligence avec les minorités chrétiennes, tandis que l'immense majorité des 22 millions de Syriens sont sunnites.

Certains manifestants ont déjà pris les armes, affirment d'autres experts.

Des informations évoquent «des opérations armées limitées sous forme de guérillas, d'embuscades, de tirs de snipers visant des shabiha (milice du régime) et des soldats, et des heurts armés dans des forêts et des vallées dans les zones frontalières», rapporte Riad Kahwaji, directeur exécutif d'Inegma (Institution pour l'analyse militaire au Proche-Orient et dans le Golfe).

Mais «pour le moment, on ne peut parler de conflit militaire», précise-t-il. Selon lui, il est facile de faire parvenir des armes aux contestataires par voie maritime ou via le Liban et l'Irak voisins, pays vulnérables en matière de sécurité.

En cas de conflit, l'expert avance l'hypothèse qu'un pays frontalier, «la Turquie ou la Jordanie par exemple, crée sous l'impulsion de la communauté internationale une zone sécurisée à partir de laquelle des forces dissidentes lanceraient leurs opérations».

«C'est le scénario le plus probable et c'est à partir de là que l'on peut le comparer au scénario libyen», affirme M. Kahwaji.

Un autre scénario serait une rébellion d'envergure au sein de l'armée. «Les insoumis utiliseraient les armes qui sont en leur possession. Ce sera alors une vraie guerre», souligne l'expert.

Mais une intervention internationale comme en Libye semble exclue. «La communauté internationale n'arrive même pas à condamner (le régime) au Conseil de sécurité de l'ONU», rappelle M. Idlebi. «Cette révolution va être coûteuse et longue. Mais il vaut mieux parvenir à nos objectifs par nos propres moyens plutôt que grâce à une intervention étrangère ou aux armes».

L'armée ouvre le feu à Rastane: au moins 20 blessés

Au moins 20 personnes ont été blessées mardi par l'armée syrienne qui, à l'aube, a mitraillé Rastane, une ville située à 180 km au nord de Damas, rapporte l'Observatoire syrien des droits de l'homme.

«Au moins vingt personnes ont été blessées, dont sept grièvement à Rastane où depuis l'aube, des soldats utilisent des mitrailleuses lourdes posées sur des chars. En outre de fortes explosions sont entendues dans la ville», a indiqué mardi matin l'OSDH précisant que «des chars ont été aperçus sur le pont Messiaf avançant en direction de Rastane» située dans le gouvernorat de Homs.

Pour sa part, la Coordination des comités locaux (LCC), qui chapeaute les manifestations en Syrie, a fait état d'un «déploiement militaire massif à Rastane».

Les forces de sécurité syriennes ont en outre tué mardi six civils en menant des perquisitions dans le nord-ouest, le sud et le centre de la Syrie.

«Trois civils ont été tués et sept autres ont été blessés durant un assaut donné par l'armée et des agents de la sécurité contre le quartier Bayyada à Homs», selon l'OSDH.

L'attaque a eu lieu après que des soldats insoumis ont incendié un char dans ce quartier.

Deux civils ont également été tués à Jabal al-Zaouiya, dans la province d'Idleb (nord-ouest), près de la frontière turque, et un troisième dans la province de Deraa (sud), à la suite de tirs des forces de sécurité syriennes, selon la même source.

Les forces de sécurité sont à la recherche de militants et de militaires insoumis, ont indiqué des militants sur place.

«Un civil a été tué à l'aube et cinq autres blessés par les tirs des forces de sécurité» qui menaient également des perquisitionné dans la localité de Tafas, dans la province de Deraa où est né le mouvement de contestation.

Dans la même région, «neuf personnes ont été arrêtées dans la localité de Tsil lors d'une campagne de perquisitions», selon la même source.

À Tir Maala, également dans le gouvernorat de Homs, il y a eu aussi des tirs de balles en fin de matinée, selon l'OSDH qui a précisé que des camps militaires se trouvent dans ce village.

Dans le même gouvernorat, à Talbisseh, à 10 km au sud de Rastane, le bruit des armes automatiques a été entendu mardi matin durant 90 minutes et vingt-cinq barrages ont été érigés dans cette région, selon l'OSDH.

Près d'Alep (nord), deuxième ville de Syrie, «des agents de sécurité et les milices loyales au régime» du président Bachar al-Assad ont investi la localité de Tal-Rafaat, selon la LCC.

D'autre part, des dizaines de lycéens ont manifesté mardi dans les villes côtières de Jablé et Lattaquié, ainsi qu'à Deir Ezzor (est), appelant à la chute du régime, ont indiqué des témoins et des habitants.

Pour sa part, al-Ghad, une alliance des militants sur le terrain, formée le 18 septembre, a accusé le pouvoir d'avoir «tué des personnalités scientifiques à Homs, en tentant de répéter le scénario des assassinats» qui avaient été perpétrés en Syrie dans les années 80.

Al-Ghad «dénonce ces crimes odieux» et fait porter «la responsabilité du sang syrien qui coule au régime (...) qui a échoué à semer les dissensions confessionnelles à Homs, mais tente encore une fois de les provoquer en visant des personnalités scientifiques», ajoute le communiqué.

L'adjoint du doyen de la faculté d'architecture de l'Université al-Baas à Homs, Mohammad Ali Aqil, et le directeur de l'école militaire de pétrochimie, Naël Dakhil, ont été assassinés lundi par des inconnus à Homs, avait annoncé l'OSDH.

Depuis le début du mouvement de contestation à la mi-mars contre le président Assad, le régime syrien accuse des «groupes armés» de tuer des militaires et des civils pour semer le chaos en Syrie, parfois avec le soutien d'Israël ou d'autres pays étrangers.