Les combats font toujours rage à Tripoli. Mouammar Kadhafi n'a pas encore dit son dernier mot. Cela n'a pas empêché le Conseil national de transition, ce groupe d'opposants qui, de Benghazi, deuxième ville du pays, tirait les ficelles de la révolte, de faire une entrée remarquée dans la capitale libyenne, jeudi. «Nous nous sommes débarrassés du despote», s'est réjoui le numéro 2 du gouvernement d'opposition, Ali Tarhouni, qui a reçu un accueil triomphal dans un hôtel du centre-ville. Ce déménagement du quartier général du CNT a une haute valeur symbolique: désormais, il est censé diriger le pays entier. Sa tâche est titanesque. Il doit guérir les plaies laissées par six mois de guerre civile. Et construire un État à partir de zéro, sur les ruines laissées par 42 ans de dictature.

Pour mieux comprendre les enjeux de l'après-Kadhafi, voici donc un petit lexique des écueils qui attendent les Libyens dans les semaines et les mois à venir.

ARMES

En six mois de guerre civile, la Libye est devenue le paradis des lance-missiles. Les chefs militaires en distribuent à leurs combattants, mais les fusils d'assaut pillés dans les dépôts d'armes circulent aussi sur le marché noir. Le premier ministre du Conseil national de transition, Mahmoud Jibril, assure vouloir confisquer ces armes et instaurer une force de sécurité en bonne et due forme. Ce sera difficile à réaliser tant que les combats se poursuivront. Et même après. La nouvelle Libye sera-t-elle un État de droit ou un pays de cow-boys armés qui tirent quand bon leur semble?

UNITÉ

Les clivages se sont accentués en Libye depuis six mois, constate l'International Crisis Group. Il y a des tensions entre l'Est et l'Ouest, entre combattants et leaders politiques, opposants laïcs et religieux. Comment le nouveau gouvernement fera-t-il pour réconcilier tout ce beau monde? Les Libyens sont tous frères, indépendamment de leur religion, de leurs opinions politiques ou de leurs liens familiaux, clame la Constitution provisoire adoptée au début du mois par le CNT. Ce document donne des raisons d'espérer pour le mieux, croit le politologue Sami Aoun. À suivre...

RELIGION

La vaste majorité des Libyens sont musulmans sunnites. Ce n'est pas l'Irak, où sunnites et chiites se sont affrontés dans un conflit sanglant après la chute de Saddam Hussein. Par contre, des islamistes radicaux qui ont combattu contre Kadhafi pourraient tenter d'imposer leur vision des choses.

Exemple: selon le journal Libération, l'homme qui a pris Tripoli se nomme Abdelhakim Belhaj - c'est le fondateur du Groupe islamique combattant libyen, lié à Al-Qaïda. Même si ce groupe semble avoir abandonné ses ambitions internationales, son leader voudra sûrement monnayer les services rendus à la révolution. Comment?

En affirmant que l'islam est la source principale - mais non pas unique - de la jurisprudence libyenne, la nouvelle Constitution joue la carte de la conciliation. La même approche a été adoptée en Égypte. Mais ce compromis pourrait être menacé.

ORIGINES ETHNIQUES

Unie sur le plan religieux, la Libye est diversifiée sur le plan ethnique. Les Berbères veulent que leur langue et leur culture soient reconnues. La Libye abrite aussi une importante population noire. Les opposants libyens sont convaincus que le régime a fait appel à des armées de mercenaires africains étrangers. Les Noirs s'exposent à des représailles. Comment le nouveau gouvernement fera-t-il pour les empêcher?

JUSTICE

Après la chute de Saddam Hussein, l'Irak a procédé à de vastes purges contre tous ceux qui avaient été liés de près ou de loin à son régime. Mauvaise idée... Si les opposants libyens ont bien tiré la leçon de l'histoire, ils prendront soin d'intégrer les «kadhafistes» à la société, tout en envoyant les criminels du régime devant les tribunaux. Premier test: une fois arrêtés, les Kadhafi, père et fils, seront-ils remis à la Cour pénale internationale?

GOUVERNEMENT

Le Conseil national de transition compte une trentaine de membres (dont une seule femme). Plusieurs d'entre eux sont issus de l'élite intellectuelle de Benghazi. Ils devront travailler fort pour établir leur légitimité. Et ils n'ont toujours pas trouvé de chef le moindrement charismatique.

PÉTROLE

Le pétrole coule au compte-gouttes en Libye depuis le début du soulèvement. Les nouvelles autorités devront s'atteler à la remise en marche de l'industrie pétrolière. Puis elles devront gérer la course à l'or noir. Avec, en tête de peloton, les puissances étrangères qui ont aidé les rebelles à renverser Kadhafi.

Sous leur dictateur, les Libyens profitaient peu de leur richesse pétrolière. À Benghazi, la plupart des rues ne sont même pas asphaltées! Le nouveau gouvernement sera-t-il plus juste et moins corrompu?