On ne l'y reprendra plus, dit Francis Proulx, fraîchement rentré de Libye. «À l'avenir, si j'accepte un emploi, ce sera dans un pays en paix et démocratique.»

Maître-électricien à SNC-Lavalin, il était en plein milieu du Sahara quand la crise a éclaté. Le gouvernement du Canada, dit-il, ne lui a été d'aucun secours. «Tout ce que le gouvernement nous a dit, c'était de rester là où nous étions. Pour moi, il n'en était pas question.»

Finalement, ce n'est pas le gouvernement qui a organisé son évacuation, mais son employeur.

De peur d'être oublié dans le désert, Francis Proulx a multiplié les appels au secours dans les médias. À chaud, pris de panique, on l'a entendu dire tout le mal qu'il pensait du gouvernement et de son employeur, pas assez prompts à le sauver. Une fois rentré chez lui, il était un peu moins critique à l'égard de SNC-Lavalin, qui a organisé son évacuation, mais toujours médusé par l'inefficacité d'Ottawa.

Liban

Germain Belzile, professeur aux HEC, a vécu la même chose il y a quatre ans et demi. Il était allé enseigner au Liban le temps d'un été, un séjour tout confort jusqu'à ce qu'éclatent les hostilités avec Israël, que personne n'avait vues venir. L'évacuation a été pénible, dit M. Belzile, et beaucoup plus longue à venir que pour les Français et les Américains. «Là-dessus, ça se comprend. D'une part, la France est toute proche. D'autre part, contrairement aux Américains, le Canada n'avait aucune flotte de guerre dans la Méditerranée. Il a donc dû louer de petits bateaux. Nous étions 250 à bord, et il y avait de la houle! Au bout de 20 minutes, 95% des gens étaient malades.»

Mais encore a-t-il fallu y arriver, à ce bateau. Contrairement à d'autres pays moins sollicités, le Canada a dû évacuer des milliers de personnes qui avaient un passeport canadien mais qui vivaient au Liban à temps plein.

Si bien qu'à Beyrouth, où M. Belzile et sa femme ont passé 24 heures dans une salle où il n'y avait que quatre toilettes pour un millier de personnes, les représentants du gouvernement canadien n'ont pas cru bon de donner leur séance d'information en français ou en anglais. Ils l'ont fait en arabe.

Les bateaux qui n'arrivent pas, passe toujours. Mais de devoir se faire traduire par un copain arabe ce que disait le représentant du Canada, ça, c'était trop, dit M. Belzile.

Pour tout dire, dans tout cela, c'est le gouvernement turc qui l'a le plus impressionné. «Quand nous sommes arrivés en bateau au port de Mersin, l'armée turque nous a remis à chacun une fleur! On nous a nourris, amenés dans des gymnases avec des douches. Ils étaient prêts.» Voilà qui tranchait avec le gouvernement canadien, qui, lui, s'est montré toujours «débordé, impuissant», dit M. Belzile.

Quand des citoyens courent des risques et vont dans des pays déconseillés par le ministère des Affaires étrangères, M. Belzile estime que la responsabilité du gouvernement canadien a ses limites. Ce n'était pas le cas au Liban, et le Canada avait le devoir de rapatrier ses citoyens, quitte à faire payer le voyage de retour, ce qui avait été envisagé et qui n'aurait pas choqué M. Belzile.

Mais surtout, est-ce trop demander, s'interroge-t-il, que l'on réponde au téléphone, à l'ambassade et que les sites internet gouvernementaux soient mis à jour?

Bahreïn

C'est aussi ce que Julie Jodoin, actuellement à Bahreïn avec son conjoint et ses deux enfants, reproche au gouvernement canadien. Les Français et les Américains sont inondés de courriels et de SMS, et les sites internet gouvernementaux sont pleins de renseignements. «Nous, nous n'avons reçu qu'un courriel le 19 février, cinq jours après celui des autres pays.»

Cette semaine, ajoute Mme Jodoin, «les représentants de l'ambassade organisent un café-rencontre, mais franchement, c'est trop tard».

De l'information. C'est ce que réclame Mme Jodoin. «Quand il y a escalade de violence, qu'il y a une crise et des manifestations, on ne sait pas si ça va exploser.»

Mais le gouvernement canadien peut-il dire, mieux qu'un autre citoyen, si ça va exploser? «C'est sûr que c'est à chacun d'évaluer le risque, répond Julie Jodoin. En même temps, le gouvernement canadien est plus à même de le mesurer que le simple citoyen.»

Actuellement, Mme Jodoin fait ce que font tant d'autres Canadiens: elle s'en remet aux sites internet des pays mieux organisés que le sien.