Ils sont très rares et pourtant ils existent: des Occidentaux non conformistes défient les consignes de leurs ambassades et se mêlent aux manifestants égyptiens pour demander la chute du président Hosni Moubarak.

«Je pense qu'aujourd'hui ce n'est pas une bonne journée pour visiter les pyramides», plaisante Matthew Hertz, originaire de New York, qui étudie à l'Université américaine du Caire.

Le campus enchanteur de cette institution a pignon sur rue, place de la Libération, dans le centre du Caire, foyer d'une contestation populaire sans précédent contre le président Moubarak au pouvoir depuis trente ans.

L'université n'a pas repris les cours depuis les heurts meurtriers vendredi entre les manifestants anti-gouvernementaux et la police égyptienne. Et certains étudiants ont refusé de rentrer au bercail, préférant vivre avec le peuple égyptien ce nouveau chapitre de leur histoire millénaire.

«La presse suggère que ce n'est pas sûr, mais nous connaissons la culture, nous connaissons le peuple, qui a toujours été gentil à notre égard, alors nous disons au monde entier que nous n'avons pas peur des Egyptiens», explique Mark Visona, un jeune italo-américain.

Les Occidentaux sur la place de la Libération sont un peu comme des Charlie dans la bande dessinée éponyme où le lecteur doit trouver un garçon souriant à lunette, gilet rayé, coiffé d'un bonnet, perdu dans des foules.

Ici et là, des pointes d'Occident frappent l'oeil, comme cette pancarte écrite en français destinée au président Moubarak: «Casse-toi pauv' con!».

«Nous sommes en colère contre nos gouvernements, c'est pourquoi nous sommes ici», fait valoir Olivia, une jeune femme de nationalité suisse et allemande. «Les gouvernements étrangers, la communauté internationale, parlent de promouvoir la démocratie et les droits de l'Homme, mais ils n'ont rien fait» pour les Egyptiens, dit la jeune blonde aux yeux verts.

Des Egyptiens remercient Mark, Olivia et leurs camarades, tirent leurs portraits. Une femme les apostrophe. «Qui représentez-vous, de quel droit parlez-vous au nom des Égyptiens?», tempête-t-elle, interrompue par des manifestants qui s'excusent pour elle.

Les manifestants égyptiens répètent des slogans anti-américains accusant Washington de soutenir le président Moubarak, et ce dernier d'être un «agent des Américains».

Mais cette colère ne s'est pas traduite par des violences contre la poignée de protestataires noyée dans cette marée humaine.

«Je suis d'accord avec beaucoup de choses qu'ils disent. En fait, je souhaiterais que les Etats-Unis cessent de soutenir Moubarak. Les Égyptiens comme le reste du monde méritent la démocratie, et c'est pourquoi je suis ici», souligne Matthew Loggie, un étudiant américain en langue arabe.

Certains Occidentaux ont néanmoins payé le prix des heurts entre policiers et manifestants, comme Éric Harroun, un Américain de l'Arizona qui a eu le poignet fracturé lors des manifestations de vendredi, et Benjamin Sellé, un Marseillais de 26 ans, qui vit depuis six ans en Egypte.

Les policiers «nous ont tiré dessus vendredi pendant les manifestations... On était une trentaine en avant, on criait «silmiya» (pacifiquement, en français), mais la police a commencé à nous frapper», dit-il.

«J'étais avec un pote, je lui tenais l'épaule, et là, à deux mètres de nous, il y a eu un coup de fusil, je me suis pris trois trucs (balles de caoutchouc, NDLR) dans la main, et mon pote a pris une centaine de plombs dans le dos, ça lui a perforé le poumon gauche», relate Benjamin.

«Je n'ai aucune intention de partir, «Ana fil bayt», je suis ici à la maison comme on dit», assure-t-il avant de sympathiser en arabe avec les manifestants.