L'un des deux frères auteurs présumés de l'attentat meurtrier à Paris contre Charlie Hebdo a affirmé avoir été missionné par Al-Qaïda au Yémen, branche la plus dangereuse du réseau extrémiste.

Dans un appel à la chaîne d'informations en continu BFMTV, Chérif Kouachi --tué comme son frère Saïd vendredi lors d'un assaut des forces d'élite-- a indiqué avoir séjourné en 2011 au Yémen, affirmant avoir été financé par l'islamiste américano-yéménite Anwar al-Aulaqi, tué par un drone américain le 30 septembre de la même année.

Il a dit avoir été missionné pour agir en France par Al-Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa), branche du réseau en Arabie saoudite et au Yémen.

Juste après la tuerie de Charlie Hebdo, l'un des deux agresseurs avait également lancé à un automobiliste à qui ils avaient volé sa voiture: «Dites que nous sommes Al-Qaïda au Yémen».

Les autorités américaines et yéménites ont affirmé que c'était Saïd qui s'était rendu au Yémen, mais cette information semble désormais confuse.

«Le voyage au Yémen offre un terrain propice à l'entraînement» pour des apprentis jihadistes, relève Laurent Bonnefoy, professeur à l'Université de Sciences Po à Paris et spécialiste du Yémen.

Selon des sources de sécurité yéménites, la présence d'un des frères Kouachi a été signalée à différents moments entre 2009 et 2013, d'abord comme étudiant, puis dans des camps d'entraînement dans le sud et le sud-est du pays.

Il fréquente d'abord l'Université al-Imane, dirigée par le prédicateur fondamentaliste Abdel Majid al-Zindani, qui figure sur une liste noire américaine.

Cet établissement et d'autres instituts privés de Sanaa servaient de couverture à des réseaux extrémistes sunnites pour attirer des apprentis jihadistes des quatre coins du monde.

«Dysfonctionnement des services»

C'est l'un de ces instituts de langues qui a permis au jeune Nigerian Umar Farouk Abdulmattallab de séjourner au Yémen et d'y rejoindre Al-Qaïda avant de tenter à Noël 2009 de faire sauter un avion de ligne américain.

«Le gouvernement de Sanaa a laissé de nombreux étrangers venir étudier au Yémen, notamment dans les écoles coraniques, mais ils ne s'inscrivent pas tous dans une logique de violence», rappelle M. Bonnefoy.

«Un certain nombre de militants qui, au départ, ont une posture non violente vont évoluer vers la violence», ajoute-t-il toutefois.

Selon un responsable américain, Kouachi avait voyagé au Yémen en 2011 où il avait été formé au maniement des armes par un membre d'Al-Qaïda avant de rentrer en France.

Les autorités américaines ont souligné que les deux auteurs présumés de l'attentat étaient «depuis des années» sur la liste noire américaine du terrorisme.

Selon M. Bonnefoy, la radicalisation de Kouachi serait antérieure à son arrivée au Yémen, pays en proie à une instabilité chronique et où les ambassades occidentales sont au centre de toutes les menaces.

«Le passage au Yémen n'est certainement pas l'élément déclencheur», dit l'expert français en s'étonnant que cet homme, «qui était déjà sur des listes noires du terrorisme, n'ait pas été intercepté» aux frontières. «Il y a certainement eu des dysfonctionnements des services français et yéménites».

Lien direct ou indirect

Pour Saeed al-Jamhi, chercheur yéménite spécialisé dans les groupes extrémistes, Aqpa a réussi une «politique de recrutement d'éléments étrangers» attirés dans le pays sous prétexte d'y effectuer des études religieuses ou d'y apprendre l'arabe.

Cela ne veut pas dire, selon lui, que toutes ces recrues ont reçu des instructions sur des cibles précises à attaquer une fois revenues dans leur pays.

«Aqpa, après avoir entraîné ces éléments, leur laisse la liberté de choisir leurs cibles et les moyens de s'y prendre», souligne-t-il.

La branche saoudo-yéménite d'Al-Qaïda s'assure ainsi, selon ce chercheur, une dimension planétaire pour ses actions qui menacent directement l'Occident.

«Une éventuelle revendication ne voudrait pas dire qu'il y ait eu une implication directe et une aide opérationnelle d'Aqpa», souligne aussi M. Bonnefoy.

Il n'en reste pas moins que le journal satirique français était présent sur une liste de cibles d'Aqpa.

Le magazine du groupe en anglais, «Inspire», lancé dans le but de susciter des vocations de «loup solitaire» à l'étranger, a appelé ses partisans à mener des attentats en France et inscrit en 2013 le directeur de Charlie Hebdo, Charb, sur sa liste de personnes à abattre.

Dès mars 2008, l'ancien chef d'Al-Qaïda Oussama ben Laden avait averti l'Europe qu'elle devrait «rendre des comptes» pour les caricatures du prophète Mahomet publiées dans les quotidiens danois et repris par Charlie Hebdo.