Une jeune femme de 26 ans, née en France, qui aimait prendre un verre et s'habiller à la mode et qui un jour se fait tuer en pleine bataille avec la police. Qu'est-il arrivé à Hasna Aït Boulahcen ? De la banlieue parisienne jusqu'en Lorraine, La Presse a suivi ses traces.

Mercredi au petit matin, Hasna Aït-Boulahcen, décrite par certains comme une fille «dévergondée», qui «buvait», qui «faisait la fête», est morte à Saint-Denis pendant l'attaque qu'a menée la police parisienne contre la cellule terroriste dont elle faisait partie, un raid dans lequel a aussi péri celui qu'elle présentait comme son cousin, Abdelhamid Abaaoud, le « cerveau » des attentats de Paris.

Présentée dans un premier temps comme la première femme kamikaze de l'histoire à se faire sauter en Europe occidentale, les autorités françaises ont annoncé vendredi que c'était plutôt un de ses acolytes masculins qui avait fait détoner sa ceinture d'explosifs à l'arrivée des policiers.

Pourtant, il y a quelques années à peine, rien ne semblait destiner la djihadiste à un tel destin.

«Elle ne se privait de rien»

Hasna est née en 1989 de parents marocains à Clichy-la-Garenne, petite commune très multiculturelle en banlieue nord de Paris.

Elle a longtemps partagé sa vie entre la région parisienne et Creutzwald, dans le département de la Moselle, en Lorraine.

Le maire de la ville de 14 000 habitants, Jean-Luc Wozniak, a raconté à La Presse que le père de la terroriste s'y est installé en 2005, quand Hasna avait 16 ans. Il a trois autres enfants, une fille et deux garçons.

Mohammed, aujourd'hui âgé de 74 ans, vit en France depuis 1973. Il habite un petit appartement, au-dessus de l'entrée d'un HLM de quatre étages typique de la Cité Maroc, un quartier pauvre où vivaient autrefois les employés de la dernière mine de charbon de France, qui était jusqu'à sa fermeture en 2004 le principal employeur de la ville. La liste des locataires, près de la porte d'entrée, est un mélange de noms d'origines française, arabe et polonaise.

En début de soirée, hier, une équipe de la police judiciaire de Metz, accompagnée de l'escouade canine et d'une dizaine de gendarmes, y a mené une perquisition, sous le regard curieux de jeunes hommes du quartier, réunis sous une pluie froide.

Certains d'entre eux ont déjà croisé Hasna lors de ses visites à Creutzwald, où elle n'aurait apparemment pas vécu longtemps, faisant plutôt des allers-retours entre Paris et la Moselle. Parmi eux, Amin : « Ce n'était pas mon genre de fréquentation », dit-il, se souvenant qu'on la surnommait « Cowgirl » à cause du chapeau à larges bords qu'elle avait l'habitude de porter. 

« Elle fumait, buvait et traînait en boîte, elle avait l'air un peu perdue, elle n'avait pas d'attaches. Ce n'était pas une fille du quartier, tout simplement. »

Il dit ne pas l'avoir vue depuis au moins trois ans, mais garde le souvenir d'une fille « qui faisait la fête et ne se privait de rien ».

D'autres, moins charitables, évoquent « une fille dévergondée » portant la minijupe « à ras le nombril ».

Musulman pratiquant, son père Mohammed - qui est en voyage chez sa demi-soeur au Maroc depuis juillet, selon le maire Wozniak - ne semblait pas lui tenir rigueur de sa conduite. « C'est un homme très sympa, un musulman normal qui fait sa prière cinq fois par jour, dit Amin. Quand elle venait ici, il acceptait sa façon d'être. Il ne disait rien. »

Bien qu'on se rappelle Hasna à Cité Maroc, ailleurs à Creutzwald, où elle a mis les pieds après le lycée, elle n'a pas marqué les mémoires, dit le maire.

« Ce sont des gens qui vivaient dans l'anonymat, dit-il. On n'a pas eu affaire à eux dans un cadre d'action sociale. Et les gendarmes n'ont relevé aucun antécédent avec cette famille. »

Après Creutzwald, la djihadiste aurait vécu dans la région d'Epinay-sur-Seine, près de Paris, où elle agissait à titre de gérante d'une petite entreprise de maçonnerie, selon des documents publics officiels. L'entreprise est « en cours de liquidation ». Hier, lors du passage de La Presse, il n'en restait aucune trace dans l'immeuble de bureaux anonyme qui abritait autrefois son siège social.

De «cowgirl» à djihadiste

Que s'est-il passé dans la vie d'Hasna pour qu'elle passe de jeune femme comme les autres à djihadiste sanguinaire ? C'est l'énigme qui trouble la France.

Ce que l'on sait, c'est qu'elle a radicalement changé.

Fini les chapeaux extravagants et les minijupes.

Une voisine de la mère de la jeune femme à Aulnay-sous-Bois, une cité typique des banlieues parisiennes où la police a aussi mené une perquisition hier, rencontrait régulièrement Hasna, toujours vêtue d'un voile qui allait jusqu'au sol. Elle a décrit à La Presse une personne « discrète, pas maquillée, qui se cachait beaucoup. »

« Je la croisais souvent dans l'ascenseur. Elle était polie. Elle ne parlait pas beaucoup, mais elle disait toujours bonjour. »

Sur Facebook, récemment, elle parlait du djihad. «Jver biento aller en syrie inchallah biento depart pour la turkie (sic) », aurait-elle écrit en juin, selon un journal belge qui a mis la main sur sa page Facebook avant qu'elle ne soit retirée du web. Hasna y faisait aussi l'apologie d'Hayat Boumeddiene, la veuve d'Amedy Coulibaly, l'auteur de la prise d'otages de l'épicerie Hyper Cacher de la porte de Vincennes en janvier après les attentats de Charlie Hebdo.

Selon ce que rapportent plusieurs médias français, Hasna Aït Boulahcen était la cousine d'Abdelhamid Abaaoud ou se présentait du moins comme telle.

Ce serait ses liens avec le djihadiste recherché dans le monde entier qui auraient entraîné leur perte à tous les deux. L'agence de presse Reuters révèle que la femme avait été mise sur écoute par la Direction générale de la sûreté intérieure justement en raison de ses liens avec Abaaoud. Elle était parallèlement écoutée par la police judiciaire de Seine-Saint-Denis pour trafic de stupéfiants. Cette surveillance - ainsi qu'un témoignage, selon le procureur du Parquet de Paris François Molins -, auraient mené les enquêteurs jusqu'à l'appartement du 8 du Corbillon, où ils ont donné l'assaut.

Avant de mourir, la djihadiste et son présumé cousin ont vidé les chargeurs de leurs kalachnikovs en direction des policiers.

Puis il y a eu une altercation entre la fille et un agent des forces de l'ordre. Dans une vidéo amateur qui circule sur l'internet, un policier interpelle la femme.

«Il est où ton copain?» hurle l'agent. «Ce n'est pas mon copain», répond-elle. Et on entend l'explosion.

Commotion

Partout où elle a vécu, la nouvelle de la mort d'Hasna, et surtout de ses circonstances, était sur toutes les lèvres.

À Clichy, où elle est née, les gens étaient nombreux à tenter de se souvenir d'elle, à savoir s'ils l'avaient un jour croisée.

«Ici, c'est tranquille. On n'a pas de problèmes avec des radicaux. Tout le monde vit en harmonie », a raconté Khalid, 50 ans, un résidant du secteur.

Dans la commune de Saint-Denis, où la jeune femme s'est fait exploser, la diffusion de sa photo a causé une commotion. Dans la rue, à l'intérieur des commerces, les gens se passaient des téléphones pour examiner le cliché en fronçant les sourcils. «Je suis 80% sûre que c'est une cliente... c'est une Marocaine, c'est ça ? On a une cliente marocaine avec des lèvres comme elle, tu sais?», lance une boulangère à sa collègue de travail, près de la rue du Corbillon.

Des centaines de curieux et de journalistes se sont aussi pressés toute la journée devant le lieu de l'attaque, où des agents de la police scientifique en combinaisons blanches continuaient à ratisser les lieux à la recherche d'indices, aidés par des charpentiers qui ont solidifié l'édifice lourdement endommagé.

PHOTO TIRÉE DE L’INTERNET

Hasna Aït-Boulahcen était surnommée « Cowgirl » à cause du chapeau à larges bords qu’elle avait l’habitude de porter. 

PHOTO THIERRY SANCHIS, COLLABORATION SPÉCIALE

En début de soirée, hier, une équipe de la police judiciaire de Metz, accompagnée de l’escouade canine et d’une dizaine de gendarmes, a perquisitionné dans le petit appartement du père d’Hasna Aït-Boulahcen, Mohammed.