Année après année, tuerie après tuerie, les pistes ne cessent de mener ici. Depuis vendredi, la commune de Molenbeek, au coeur de Bruxelles, est encore montrée du doigt. Cette fois en tant que base arrière du groupe de djihadistes qui a attaqué Paris.

«On peut considérer qu'il y avait un réseau sur Molenbeek lié aux attentas de Paris», confirme Françoise Schepmans, la bourgmestre de l'endroit (l'équivalent à la fois d'une mairesse d'arrondissement et d'une députée).

C'est presque devenu une habitude. L'élue a dû commenter les liens de sa commune avec l'attaque du marché Hyper Cacher de Paris en janvier, avec l'attaque du Thalys en août, avec des cellules extrémistes démantelées par la police et avec de nombreux combattants partis rejoindre l'État islamique.

En ce dimanche, la bourgmestre est seule avec un assistant au milieu de l'antique maison communale, l'édifice de l'administration locale. Elle y accueille des journalistes, vague après vague, sans se défiler. Soudain, des larmes roulent sur ses joues et sa voix s'étrangle. Elle demande un moment pour se ressaisir. Elle n'a presque pas dormi.

«Excusez-moi, ça n'a pas arrêté depuis hier soir et je n'ai pas mangé non plus», dit-elle.

Puis, elle reprend son bilan: sept arrestations, trois perquisitions et une saisie de véhicule à Molenbeek relatives aux attentats de Paris. Et la confirmation que deux des kamikazes du Bataclan avaient séjourné dans la commune.

«Des quartiers difficiles»

Dehors, les rues sont propres, calmes et pleines de vie à la fois. Mais les défis sautent aux yeux. Le déclin des industries après les années 70 est allé de pair avec un afflux massif d'immigrants qui n'ont pas joui des mêmes perspectives d'emploi que les générations précédentes. Dans certains quartiers de Molenbeek, la population d'origine maghrébine est de 80% et l'intégration demeure un défi, alors que le taux de chômage atteint les 50% chez les jeunes.

«Ce sont des quartiers difficiles où il y a une grande concentration de précarité, beaucoup de jeunes et une communauté d'origine marocaine qui est devenue majoritaire. Or, nous n'avons pas eu de politique d'intégration assez forte pour expliquer que dans ce pays, il y a des droits et des obligations», affirme Mme Schepmans.

Son constat est sévère. «Les autorités politiques ont été dans le déni, comme certains acteurs sociaux et culturels», dit-elle.

Elle dit avoir vu certains citoyens «s'habituer au chômage», certains s'enfermer dans un «repli identitaire et religieux» et dans le «radicalisme».

Dans ce terreau, des «radicalisateurs» s'agitaient, croit-elle. «Et ce ne sont pas des associations, ce sont des individus. Il y a des dossiers [montés sur eux]», assure-t-elle.

Les martyrs, des vedettes

Rue du Bois-Thorne, un peu plus loin, Jean-Paul Gaillard a vu les policiers débarquer mitraillette à la main samedi, lors de l'opération post-attentats. Il n'était pas surpris. «On se doutait que ça devait arriver, à entendre comment ils parlent, ces jeunes. Pour eux, les martyrs, ce sont des vedettes!», peste le sexagénaire.

«Samedi, quand la police est venue, des jeunes révoltés sont venus les provoquer, ça gueulait», déplore-t-il.

Son ami et voisin Marc Coqu, un frigoriste plutôt costaud, montre une passerelle qui enjambe les rails de métro, devant d'immenses tours de HLM. «Le soir, après 21h, personne ne traverse seul, c'est trop incertain, on peut vous sauter dessus», dit-il.

Certains déplorent toutefois que la tendance soit à stigmatiser toute la population du secteur en raison de quelques pommes pourries.

Devant la station de métro Osseghem, à un jet de pierre de l'endroit où la voiture a été saisie par la police samedi, l'équipe de soccer du FC Molenbeek Girls célèbre sa victoire de 4 à 1 contre Berchem.

Des adolescentes «toutes musulmanes» qui disent que les préjugés contre leur communauté sont à la hausse. «Nous, on est musulmanes et on est contre le terrorisme. L'islam est une religion de paix, faut le dire, monsieur! Il y a des amalgames! Une fille a été agressée juste parce qu'elle porte le voile», halète Sarah, la meneuse du groupe, sous les approbations de ses coéquipières.

Rencontré devant le poste de police avec ses enfants, un père de famille d'origine maghrébine dit quant à lui trouver l'ambiance «bonne» même si «ça fait peur» d'entendre que des djihadistes fourmillent autour. Il espère que la police ne se concentrera pas seulement sur les exécutants. «Ces gens-là, il y a des gens qui les envoient se faire tuer et qui restent loin derrière», croit-il.

L'homme refuse de se nommer. «Pas de nom, pas de photo tant qu'ils n'ont pas arrêté le cerveau. J'ai une famille...»

Pris entre deux feux

Ce genre d'attitude est compréhensible, selon Bahar Kimyongur, militant politique de descendance alaouite qui a vécu cinq ans à Molenbeek et y visite encore ses parents chaque semaine.

«Il y a un foyer, une nébuleuse eurodjihadiste qui gravite autour de ce quartier. Les musulmans à Molenbeek qui ne veulent pas être associés aux terroristes, aux assassins, se retrouvent entre deux feux. Ils n'osent pas s'exprimer pour ne pas être ostracisés par l'un ou l'autre des camps», dit-il.

M. Kimyongur dit constater une «islamophobie rampante» chez certains Belges, exploitée par des islamistes radicaux «rusés» qui veulent replier la commune de Molenbeek sur elle-même. Des factions religieuses puritaines exercent une pression sur ceux qui voudraient plus d'ouverture, dit-il. Résultat: un terrain difficile pour la lutte contre le terrorisme.

«Nous avons affaire à un ghetto. Et un ghetto, ce n'est pas bon pour le vivre ensemble», dit-il.