Jean-Claude Juncker et Angela Merkel ont joint leurs voix mercredi pour en appeler aux valeurs de l'Europe afin que les pays de l'UE se répartissent immédiatement 160 000 réfugiés, un plaidoyer qui ne faisait toutefois pas l'unanimité parmi les Européens.

«Ce n'est pas l'heure d'avoir peur»: à Strasbourg, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker a demandé de faire preuve d'audace et de solidarité pour résoudre la pire crise de ce type en Europe depuis 1945.

A Berlin, la chancelière a martelé qu'elle voulait une répartition «contraignante» des réfugiés, quitte à bousculer sérieusement les plus réticents de ses partenaires européens.

Signe de l'écho de cette crise au delà de l'Europe, le secrétaire d'État américain John Kerry a assuré que Washington allait faire un effort pour accueillir des réfugiés syriens.

Le département d'État a promis qu'il y aurait entre 5000 et 8000 réfugiés syriens aux États-Unis à l'automne 2016, alors que Washington s'en tenait jusqu'à présent aux 1500 accueillis depuis 2011.

Les divergences entre pays de l'UE se traduisent de manière très concrète pour les réfugiés, notamment syriens, qui continuent d'affluer par dizaines de milliers en passant par les Balkans: accueillis sous les vivats en Allemagne, ils se heurtent, parfois violemment, aux policiers hongrois.

Budapest a une nouvelle fois défendu sa nouvelle législation, très controversée, rendant passible de prison le franchissement de la barrière de barbelés érigée à sa frontière avec la Serbie.

L'armée hongroise a aussi procédé mercredi à des manoeuvres militaires dans le sud du pays, pour se préparer à une éventuelle mission de contrôle aux frontières.

Plus au nord, la compagnie ferroviaire danoise a suspendu, sur ordre de la police, les liaisons grandes lignes avec l'Allemagne après le refus de centaines de migrants en transit vers la Suède de descendre des trains à leur arrivée au Danemark.

L'ONU envisage pour sa part d'autoriser les pays européens à arraisonner en haute mer, au large de la Libye, des navires suspects pour les inspecter. Si des migrants s'y trouvent, ceux-ci seront secourus et acheminés vers l'Italie. Les navires seraient saisis et détruits, et les passeurs poursuivis en justice.

«Nous avons les moyens d'aider ceux qui fuient la guerre», a lancé M. Juncker devant le Parlement européen à Strasbourg, en réclamant que les 28 pays membres de l'UE se mettent d'accord dès la semaine prochaine sur la répartition de 160 000 réfugiés.

Ce chiffre correspond à l'addition d'une précédente proposition de répartir 40 000 réfugiés arrivés sur le sol européen, avec une nouvelle proposition d'urgence portant sur 120 000 personnes actuellement en Italie, Grèce et Hongrie.

«Les chiffres sont impressionnants», a reconnu M. Juncker, en rappelant que près de 500 000 réfugiés ont frappé à la porte de l'UE depuis le début de l'année.

Pas de critère religieux 

M. Juncker a spécifiquement demandé à ce que la religion des réfugiés, venus en grande partie de pays à majorité musulmane, ne soit pas un critère de choix.

Le premier ministre hongrois Viktor Orban, chef de file des opposants à une politique d'ouverture, a jugé récemment que l'afflux de migrants constituait une menace pour «l'identité chrétienne» de l'Europe.

En France, certains élus locaux ont fait savoir qu'ils ne voulaient accueillir que des chrétiens. Longtemps plus frileux sur ce dossier que son voisin allemand, le pays a reçu mercredi le premier contingent d'un millier d'exilés irakiens et syriens pour la plupart venus d'Allemagne.

L'option des quotas, à laquelle Paris vient de se rallier, place l'Allemagne en première ligne, car elle doit accueillir environ 26% des 160 000 réfugiés, suivie de la France (20%) et de l'Espagne (12%).

L'Espagne, réservée par le passé face à l'idée de quotas, s'y est finalement ralliée mercredi, annonçant qu'elle accepterait 14 931 réfugiés comme proposé par la Commission, qui s'ajoutent à 2749 autres déjà comptabilisés. La Pologne et la Lituanie ont aussi accepté les propositions de la Commission.

A l'inverse, le Premier ministre slovaque a une nouvelle fois refusé ce système de répartition, en affirmant qu'il ne voulait pas «se prosterner» devant l'Allemagne ou la France.

La chancelière allemande, qui doit visiter jeudi matin à Berlin un centre d'enregistrement de demandes d'asile puis une classe pour enfants de migrants ne parlant pas allemand, a également proposé une réunion du G7 et de plusieurs pays arabes pour débloquer des fonds en faveur des réfugiés dans les pays voisins de la Syrie.

M. Juncker a aussi appelé à la mise en place d'un fonds d'urgence de 1,8 milliard d'euros, pour «régler les crises» qui frappent certains pays d'Afrique, comme l'Erythrée, dont les habitants fuient en nombre.

La Norvège, de son côté, a proposé d'organiser une conférence des donateurs.

«Germany, Germany»

Plus déterminés que jamais, des centaines de migrants ont forcé à plusieurs reprises mercredi un cordon de la police hongroise, près de la frontière avec la Serbie.

«Nous ne voulons plus vivre dans des camps en Hongrie ou ailleurs, les conditions sont horribles, il fait trop froid, tout est sale, et ça sent mauvais», lançait une jeune Syrienne qui tentait de forcer le passage près du village frontalier hongrois de Rözske, à 170 km de Budapest.

D'autres scandaient «Nous voulons partir», en entonnant devant les policiers hongrois des «Germany, Germany», leur Terre promise.

Devenue le lieu emblématique de cet exode, la petite île grecque de Lesbos a reçu à elle seule 20 000 candidats à l'exil, soit l'équivalent du quart de sa population. Mercredi, les autorités grecques terminaient enfin l'enregistrement de 14 000 d'entre eux, et le calme revenait dans l'île.

Au-delà de l'Europe, le Premier ministre australien Tony Abbott a annoncé le prochain accueil de 12 000 réfugiés en plus des 13 500 acceptés chaque année.

Plusieurs pays d'Amérique latine, dont le Venezuela, se sont aussi dits prêts à participer à l'effort international.

PHOTO CHRISTIAN LUTZ, AP

Le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker.

PHOTO MICHAEL SOHN, AP

La chancelière allemande Angela Merkel.